2 dés sans faces et Creative Commons

Une discussion lors de la récente Assemblée générale de 2 dés sans faces a tourné autour de la distribution de jeux de rôle sous licence Creative Commons. C’est un sujet que j’ai déjà abordé dans ces pages à l’occasion de la sortie du jeu américain Eclipse Phase. La question étant bien évidemment de savoir si 2 dés sans faces voulait suivre le même chemin.

Le texte ci-dessous est un premier jet de réflexion, que j’ai pondu pendant les quarante minutes de train qui me ramenaient chez moi le soir même. Avec l’autorisation d’Edomaur, je les publie ici et j’attends vos retours sur le sujet.

Pourquoi CC ?

L’idée est de redonner un semblant de vie à certaines gammes ou suppléments en « fin de vie » ou mal connus en les publiant gratuitement, au format PDF, et sous licence Creative Commons (non commerciale).

Que publier ?

C’est une question de choix. On peut prendre l’option Eclipse Phase et publier un ouvrage en CC en même temps que, voire peu avant, sa commercialisation. La version CC fait alors office de kit de démarrage.

On peut aussi décider de ne publier que les vieux ouvrages, ceux qui sont mal connus ou dont la gamme est abandonnée, ou sur le point de l’être.

Quel format ?

La méthode la plus directe est de fournir un PDF résolution écran de l’ouvrage en entier, illustrations incluses, mais cela peut créer potentiellement des problèmes de droits pour les illustrations, la maquette ou même certains textes. Cette option pose également la question d’autres formes de distribution du PDF (via Lulu, notamment).

Une autre option serait de ne reprendre que les textes de la version publiée et d’en refaire un PDF avec une mise en page minimaliste. Cela implique donc un certain travail sur les fichiers originels, mais offre l’avantage de mieux graduer les avantages d’une version payante (PDF ou imprimée) sur le fichier distribué en Creative Commons.

Avantages et dangers

Le principal danger d’une distribution en Creative Commons est que celle-ci ait un impact négatif sur les ventes des produits non-CC. Si on en croit d’autres expériences dans ce domaine ou les tendances générales dans le domaine de la musique ou du film, c’est un risque très limité : les personnes qui téléchargent ont souvent tendance à acheter ensuite (et celles qui n’achètent pas n’auraient de toute façon pas acheté). De plus, le jeu de rôle francophone est un marché d’ultra-niche qui n’a sans doute rien à craindre de la piraterie de masse.

L’autre danger, plus insidieux, est qu’il faut être conscient que passer une gamme en Creative Commons aura des répercussions sur l’ensemble de la gamme et qu’il faudra « jouer le jeu ». On ne peut pas fournir un PDF gratuitement sous licence CC sans faire de même avec le jeu vendu. Cela ouvre également la porte à la création de tiers sous licence CC (à moins d’exclure spécifiquement les produits dérivés).

L’avantage principal de cette idée est un effet d’annonce et une visibilité potentiellement accrue. Une grande partie de l’intérêt pour Eclipse Phase vient sans doute de l’annonce de sa sortie sous licence CC. Le fait que des jeux entiers ou des suppléments complets soient disponibles gratuitement va sans doute également attirer la curiosité des joueurs.

Il ne faut cependant pas trop se bercer d’illusions : cela ne va sans doute pas créer un pic de vente au-delà de l’effet d’annonce. Ce qui fait qu’un jeu se vende est qu’il est perçu comme un bon jeu, pas qu’il soit disponible gratuitement sur Internet. De plus, c’est une initiative qui risque fort de toucher plus facilement le « rôliste du net », créature qui n’a pas grand-chose à voir avec le rôliste lambda…

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8 réflexions au sujet de “2 dés sans faces et Creative Commons”

  1. En tout cas, c’est une démarche qui m’interpelle pas mal. Que ce soit pour 2DSF ou autre. Mais j’y avais déjà réfléchi, et j’aime bien les points soulevés ici qui me fotn avancer dans ma cogitation.

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  2. J’ai de sérieux doutes sur ce principe. Après avoir longtemps milité pour une certaine gratuité, j’en suis revenu en raison d’un obstacle majeur : le respect et l’évaluation du travail effectué. L’oeuvre peut être bonne ou mauvaise, mais dans tous les cas, certaines personnes ont passé du temps et de l’énergie dessus.
    J’ai de plus en plus la sensation (sans pouvoir le quantifier) que des licences type Creative Commons sur une oeuvre (un ensemble cohérent et fini) est un facteur de dépréciation du travail global y-compris des oeuvres non distribuées sous cette forme. En gros, je pense que plus il y a de jeux en Creative Commons, moins la valeur des jeux dans leur intégralité est diminuée aux yeux des consommateurs que nous sommes tous restés (car il n’y a pas que les majors qui ne savent pas s’adapter aux nouveaux médias : les usagers sont à mettre dans le même sac).
    A choisir, je préfère de loin un système qui serait vendu sans bénéfices (simple prix de revient de l’impression, par exemple) plutôt qu’à une gratuité distribuée et incontrôlée. Ou alors, pourquoi pas, une gratuité conditionnée à la production de contenu (on peut rêver : une licence qui oblige celui qui télécharge à produire un contenu ou à supprimer le téléchargement après lecture).
    Bref, quelque chose qui fasse avancer les choses et qui oblige le lecteur à afficher au moins un respect (financier léger, actif, sous forme de critique) envers le travail fourni par des auteurs et/ou éditeurs.
    Je sais, ça fait vieux con tout ça, mais je ne crois plus trop à une licence gratuite, illimitée, incontrôlée. Je ne suis en tous cas pas sûr que ça profite à l’oeuvre, en tous cas. Tout au plus au consommateur, mais est-ce qu’il le mérite s’il ne fait que consommer sans s’investir ?

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    • C’est un point de vue intéressant. J’ai quand même l’impression que ça ne s’applique pas dans le cas du jeu de rôle.

      Techniquement, l’édition de jeu de rôle implique que ceux qui y jouent vont, de base, produire du contenu — ne serait-ce qu’en y jouant. Il y a un accord tacite entre les éditeurs et les joueurs sur le fait que ces derniers ont le droit de publier des aides de jeu ou des scénarios, tant qu’ils n’en font pas commerce.

      En gros, le jeu de rôle peut être considéré de base comme étant sous licence Creative Commons non-commerciale. Le seul pas qui, de façon générale, n’est pas franchi, c’est la mise à disposition gratuite du matériel de base.

      Est-ce que ça déprécie le travail? J’en doute. C’est un peu comme pour tout: les bons jeux (ou, pour être plus précis, les jeux qui ont un public) vont s’en sortir mieux que les autres. Pour prendre un exemple au hasard, je doute franchement que distribuer Tigres Volants en licence CC va subitement en faire un succès.

      Je ne crois pas à un respect dû automatiquement à l’auteur ou à l’éditeur d’un jeu. C’est quelque chose qui se mérite par la qualité du travail, point.

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      • J’ai quand même la sensation que cette “tradition” a causé presque plus de mal que de bien pour les éditeurs. Moi même, je regrette d’avoir passé autant de temps à écrire et publier des scénarios pour des jeux gratuitement. Cela dit, je pense qu’aucun éditeur n’a jamais eu le sérieux et/ou la capacité de mettre en place une plate-forme plus officielle de matériel pour ses jeux, amenant souvent les joueurs à faire “à leur place”.
        L’expérience de COPS a montré qu’à condition de faire un boulot titanesque, un éditeur pouvait collecter/valider des matériels de jeux, leur donner un aspect officiel. Mais même Asmodée n’avait pas franchi le pas de mettre en place une base de téléchargement de suppléments amateurs validés.
        J’ai pourtant souvent regretté qu’il n’existe rien de tel et si au bout d’un moment, les contenus s’avéraient nombreux et de qualité, j’aurai sans aucun doute fini par accepter un abonnement symbolique ou un téléchargement à l’acte avec l’assurance d’un bon travail éditorial.
        Aujourd’hui, on paie 45 euros un bouquin, avec l’exigence qu’il soit en quadrichromie la plupart du temps… Certains jeux n’ont déjà plus qu’un suivi gratuit et j’entends des gens râler que ce ne soit pas le cas de tous (quoi ? pas de matos à foison à télécharger ?!? c’est quoi ce suivi éditorial). Plus personne ne se rend compte qu’écrire un scénar de 40.000 signes, c’est une bonne semaine de boulot sans parler des aspects techniques…
        C’est cette “normalité” de la gratuité qui me dérange. Après, accoler une licence pour “valider” un comportement de fait, je ne vois pas trop l’intérêt… autant continuer comme avant, non ? La licence D20 est allée bien au-delà de ça en permettant aux gens de publier et d’éditer leurs contenus, même à but commercial. C’est sans doute la principale raison de son succès. Le CC n’apportera sans doute rien par rapport à l’existant, il me semble…

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        • C’est clair que je n’ai pas ton vécu dans ce domaine. J’ai toujours aimé écrire pour le jeu de rôle, j’ai toujours voulu distribuer le plus largement possible ce que j’écrivais. C’est très probablement une question d’égo; j’assume. C’est peut-être aussi parce qu’à la limite de ma conscience, je sais depuis longtemps que je ne vivrai jamais du jeu de rôle (ne parlons même pas de devenir riche).

          Cela dit, je ne vois pas trop où se situe le problème. Je ne comprends pas ce que tu appelles la “normalité de la gratuité”. Personnellement, je vois un produit disponible en version numérique sous Creative Commons comme le produit d’appel, l’échantillon gratuit pour le vrai bouquin.

          Je vois ça un peu comme le milieu du jeu vidéo: tu as des grosses boîtes qui alignent des budgets hollywoodiens et truffent leurs produits de dispositifs antipiratages (inutiles) pour éviter de perdre un dollar dessus. De l’autre, tu as des petits développeurs qui font du “casual gaming”, le mettent à disposition gratuitement et espèrent des retours sous d’autres formes.

          On peut certes continuer comme on a toujours fait, mais je ne suis pas sûr que ce soit un bon calcul à long terme. Parce que, tel que je vois les choses, on va assez rapidement aller vers un choix où soit on essaye de jouer dans la même cour que les gros lourds façon Hasbro ou Games Workshop, soit on feinte et on joue la carte communautaire.

          Je ne te cacherai pas que j’ai déjà fait mon choix. 😉

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  3. Il n’y a pas nécessairement un lien entre le prix et le type de licence sous lequel le bien est distribué (cfr la célèbre phrase : Free software is a matter of liberty, not price. To understand the concept, you should think of free as in free speech, not as in free beer.)

    Le choix d’une licence libre, du type Creative Commons, est pour moi une bonne chose, surtout dans le marché du jeux de rôle, ou l’éditeur d’un jeu tire avantage de l’appropriation de l’univers par les joueurs.

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  4. Je ne suis pas d’accord avec ce que dit Mario. En effet, étant utilisateur de Logiciels Libres depuis une dizaine d’années, je ne vois pas en quoi le côté gratuit et libre distribution impacte sur la qualité du travail. Au contraire, de manière générale la qualité a plutôt tendance à augmenter. Et des exemples utilisant des licences libres (ou équivalentes), il y en a de plus en plus et ce, dans tous les domaines.
    Si on regarde du côté des softs, on trouvera firefox, openoffice, linux pour ne citer qu’eux. Ce sont toutes des belles réussites quoi qu’en disent certaines mauvaise langues 😉 Et leur licence permet de les redistribuer/modifier/etc.
    Ensuite niveau contenu collaboratif sous licence CC et/ou GFDL par exemple on retrouve Wikipédia. Là encore c’est plutôt une belle réussite.
    Niveau musique, on va trouver jamendo et dogmazic qui font la promotion de la musique dite libre (pas tout à fait au sens des logiciels libres ceci dit). Là encore on trouve de plus en plus de choses et certaines perles.
    Niveau cinéma, on trouve des initiatives comme Kassandre, qui produisent des films sous licences libres.
    Enfin, et je pense que c’est ce qui peut t’intéresser, on trouve des éditeurs “libres” comme In Libro Veritas. Ils publient des textes sous licences libres, et choses intéressante, ils impriment aussi les bouquins ! Bien sûr un bouquin imprimé ça se commande et ça a un coût. Mais tous les livres qu’ils proposent sont aussi en libre téléchargement, et ça ne pose pas de problème.

    Hum, voilà pour mes 2 centimes de réflexion 🙂

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  5. Je ne suis pas non plus d’accord avec Mario et j’approuve totalement le point de vue de Jokester… Le matériel gratuit est à mon avis plus un signe de la bonne santé d’un jeu qu’autre chose. Si un éditeur ne peut pas se permettre de publier du matériel payant, pour des raisons de budget, de licences ou que sais-je, c’est aussi une échappatoire possible.

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