À quoi sert le service public?

En Suisse, on a tendance à voter sur tout et n’importe quoi. En conséquence, il arrive que certains des objets sur lesquels on vote soient vraiment n’importe quoi. L’initiative dite “des minarets” a été un des sommets du genre, mais celle dite “No Billag” sur laquelle nous allons voter dans un mois n’est pas mal non plus dans le genre.

Un petit peu de contexte pour les non-Suisses qui nous lisent – les Suisses peuvent rester, avec un peu de chance ils vont même apprendre des trucs. Avertissement préalable: je suis farouchement contre cette initiative. Je vais essayer de rester factuel, mais je ne promets rien.

C’est une initiative populaire lancée par des membres des sections jeunesse des partis de droite libérale (le Parti libéral-radical, PLR pour les intimes, et l’UDC, encore eux!). Son intitulé exact est “Initiative populaire fédérale ‘Oui à la suppression des redevances radio et télévision (suppression des redevances Billag)'”. Elle vise à interdire, au niveau constitutionnel, tout impôt et, surtout, toute subvention publique fédérale pour l’audio-visuel.

Alors pourquoi on parle de Billag? Parce que Billag est l’entreprise chargée de collecter la redevance radio-télé pour le compte de la Confédération – enfin, je devrais dire “était”, vu qu’elle a perdu son mandat et devrait être remplacée par une autre entreprise. Déjà assez peu populaire à la base, Billag a été la cible d’attaques pas toujours injustifiées sur sa gestion approximative.

Résumons: on a donc un texte dont l’intitulé semble vouloir taper sur une agence mal aimée, qui en apparence réclame la suppression d’un impôt contesté à l’heure d’Internet, mais qui dans les faits vise à étrangler le service public en matière d’audio-visuel.

Ce qui représente tout de même directement sept chaînes de télévision, dix-sept stations de radio, plus des activités en ligne. Indirectement, ça représente également des subventions et investissements dans une palanquée d’autres entités audiovisuelles, plus du soutien à des spectacles, à la création cinématographique, etc. Fondamentalement, à une très grande partie de la création audiovisuelle en Suisse.

Mais, bien sûr, c’est plus sexy d’intituler le texte “non au méchant percepteur qui vient piquer vos sous” que “mort à la création audiovisuelle suisse!” OK, j’exagère, mais à peine.

Je passe rapidement sur le fait que les initiateurs sont – sans surprise – plus dans la mouvance libertarienne que juste libérale et qu’ils avouent eux-mêmes avoir lancé l’idée autour d’une bière de fin de soirée. Ivre, virgule, ils flinguent le service public. En même temps, je suppose qu’il faut bien être ivre pour trouver du sens à certaines idées issues du libertarianisme.

Non, je n’aime pas le libertarianisme non plus. Désolé, je suis un vieukon de gauche.

Au-delà de cet exemple très helvèto-suisse, je trouve inquiétant le phénomène qu’il met en lumière: la tendance de ne plus pouvoir “payer pour les autres”. C’est ennuyeux, parce qu’une grande partie de ce que l’on appelle le service public – et, partant, les institutions étatiques de nos sociétés – est basé sur cette idée.

Lorsque nous payons des impôts, nous ne pouvons pas choisir où ils vont aller. Je peux comprendre que ce soit chiant; personnellement, ça m’ennuie qu’une part considérable des sous que je donne à l’État soient utilisés par des militaires pour acheter des joujoux très chers et par des services de renseignements qui espionnent les citoyens parce que terrorimsme.

Mais c’est le jeu, ma pauvre Lucette: une grande partie du fonctionnement de nos États modernes se basent précisément sur la mutualisation des coûts: tout le monde paye un peu pour recevoir un peu quand/si nécessaire. L’autre option, c’est “tu payes pour avoir”. Ce que je peux comprendre quand ça concerne les grosses bagnoles ou les montres de luxe, moins quand il s’agit de choses vitales ou, à tout le moins, importantes. Et oui, la culture, c’est important, voire vital.

Cela dit, il faudra tout de même que l’on se penche un jour sur les paradoxes de ce principe élémentaire: pourquoi doit-on payer pour des choses aussi élémentaires que le logement, la santé ou l’alimentation? Ce sont des droits fondamentaux, ils devraient garantis par l’impôt au même titre que d’autres.

Personne n’aime payer des impôts; il peut paraître injuste de voir 50% de ses revenus partir vers des gens que l’on ne connaît pas dont le seul mérite semble être d’exister. De mon point de vue, ce qui est injuste, c’est que des gens gagnent plus d’argent qu’ils ne pourront jamais en dépenser et refusent de lâcher des picaillons pour aider ceux qui crèvent la dalle.

Le service public, quelque part, c’est cette idée que certains besoins primordiaux sont couverts par l’État par un mécanisme de mutualisation au niveau de tous les acteurs de la société – citoyens, résidents, personnes morales, etc. Qui a envie de voir un tel outil disparaître?

À part ceux qui veulent se faire encore plus de sous en le vendant à ceux qui ont des sous, s’entend.

(Image sous licence CC0)

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2 réflexions au sujet de “À quoi sert le service public?”

  1. Nous autres français sommes pires à nous plaindre que l’hôpital va mal, qu’il n’y a pas assez de policiers, de gardiens de prisons et de voter pour des gens qui suppriment postes et budgets dans les mêmes domaines.

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    • C’est vrai que le système français me mystifie parfois – encore plus que le système suisse, qui peut parfois être bien WTF.

      Je soupçonne que le souci majeur, c’est que les castes politiques sont en place depuis tellement longtemps, comme enkystées, qu’il est très difficile de voir un salut ailleurs que dans les extrêmes. La Suisse a développé, au fil du temps, un système de concertation qui, au final, aplanit pas mal de difficultés (sans être parfait non plus), mais le système politique français semble toujours coincé dans une logique d’antagonisme absolu.

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