Trolls, elfes, contestation & modération

(Note du Alias: cette histoire, qui a eu lieu à la suite de mon récent article sur la carte X, me concerne directement; tout ce bigntz a eu lieu autour du 25 juin et a donné lieu à pas mal de discussions. Avant de donner mon point de vue sur cette affaire (vendredi prochain), je préfère laisser la parole à Sébastien Delfino, qui précédemment publié une première version de cet article sur son mur Facebook. Comme je trouve que ça fait mieux dans un vrai blog, je lui ai suggéré de l’héberger. Dont acte: l’article qui suit est intégralement de lui.)

Quelques réflexions sur les fâcheries rôlistes en ligne

Un certain Tonton, dont je partage nombre des idées, a encore été viré d’un groupe Facebook pour avoir posté à rebrousse-poil de l’opinion majoritaire, défendue par les admin et clairement inscrite dans le règlement du groupe : les sujets trop “politiques” et leurs militants seront exclus pour ne pas déranger les discussions légitimes.

Cette fois encore, c’est sur un groupe appelé Discussions de Rôlistes (“DdR”), où l’on commence à bien connaître le périmètre du tabou : les “narrativo-vegan”, les “SJW” et les anti-sexistes, les tenants du JdR comme outil de réflexion politique ou de la sécurité émotionnelle y sont considérés comme des trolls, leurs propos fréquemment censurés et les contestataires récidivistes exclus.

C’est pas une surprise : c’est même le règlement. Et si la censure a mauvaise presse, elle n’a jamais disparu des sociétés même très démocratiques, pas plus qu’elle ne présuppose l’opinion des censeurs.

C’est plus compliqué que ça, et c’est justement ce qui me fascine (attention : pavé)…

La confusion entre le discours public et l’espace privé tient au fonctionnement même de Facebook : même s’il compte des milliers de membres et se trouve donc être l’un des plus gros lieux de discussions (tous supports confondus) pour un petit milieu comme le nôtre, un groupe FB tel Discussions de Rôlistes n’est pas un espace public.

C’est un “club privé”.

Même si vous avez l’impression d’y parler “en public”, avec ou sans masque, l’admin de chaque groupe peut donc y exercer sa souveraineté à peu près comme il l’entend, même si l’entreprise-FB peut être motivée à intervenir contre des abus s’ils sont à la fois signalés (donc assez “visibles”), illégaux et impopulaires. Par exemple, l’incitation à la haine raciale n’est sanctionnée que si elle nuit à l’image de FB, pas quand elle s’exerce certes illégalement mais avec discrétion (c’est ce qui permet aux racistes de continuer à discuter sur leurs groupes dédiés).

De même, le sexisme et la misogynie, pourtant endémiques sur FB, n’y ont commencé à être vaguement interdits (effacés, sanctionnés…) que lorsque que l’entreprise s’est aperçue que ce serait meilleur pour son image globale que de laisser faire, ce qui était sa politique auparavant.

(Considérant qu’on est là sur le réseau social qui digère le plus de données au monde pour prendre ses décisions, si sa clientèle misogyne valait bien sa clientèle féminine ou féministe jusqu’à récemment, je vous laisse imaginer à quel point la misogynie était encore une opinion populaire tout récemment…)

Autrement dit, sur un groupe Facebook, l’admin-propriétaire décide seul de ce qu’on a le droit de dire, ou pas, de qui est accepté et qui dégage : c’est la règle.

Mais revenons à nos trolls et nos contestataires : quand on a des intentions un tant soi peu militantes sur DdR, soit elles y sont considérées comme inoffensives parce que plutôt rigolotes ou majoritaires (par exemple, l’anti-racisme y a meilleur jeu que l’anti-sexisme et la lutte des classes y est perçue comme une grosse blague sans réel impact politique), soit les tentatives sont considérées comme trolls, vite effacées et, assez fréquemment, les récidivistes sont sommairement exclus.

Et, j’insiste, ça ne tient pas directement aux opinions politiques réelles ou supposées des modo : c’est parce que, pour la majorité des participants à DdR, le JdR est un loisir donc une détente, un moyen d’évasion, qui ne devrait pas être pourri par le militantisme (minoritaire), quelle que soit en théorie la direction de son engagement.

Certes, dans toute communauté, la paix des ménages et l’ordre public bénéficient d’avantage au statu quo, donc aux opinions dominantes. Mais résumer la modération à “Modo fasco, le peuple aura ta peau !” est aussi inexact que réducteur : ce n’est pas l’opinion des modo qui motive leur action, c’est l’opinion de la majorité des participants. Ce n’est pas la même chose.

Ça énerve considérablement mes copains gaucho-progressistes, mais c’est l’état actuel de la plupart des réseaux sociaux : même Twitter ne s’est vraiment attaqué à la misogynie qu’assez récemment, après avoir réalisé être devenu le principal outil de harcèlement en ligne (je ne sais pas si vous vous représentez l’héroïsme technique que réclame la tentative de désherber les harceleurs anonymisés sur une plateforme longtemps dénuée d’outils de contrôle). Parce que, au niveau des phénomènes de foule, en particulier l’affrontement millénaire des contestataires et des conservateurs, le “village mondial” en ligne fonctionne d’une manière assez comparable aux villages d’antan.

Et, personnellement, c’est là que je trouve que le phénomène des trolls devient carrément fascinant…

La raison officielle de cette censure sur DdR, c’est que les sujets “tabous” foutent le bordel, donc gênent les discussions légitimes du loisir-détente. Argument à la fois presque crédible, terriblement myope et carrément “historique”, mais que je crois sincère.

Historiquement, donc, le maintien de l’ordre, c’est comme la décence et les valeurs morales : une de ces raisons régulièrement invoquées par les forces conservatrices pour bâillonner les discours progressistes, histoire de préserver la société dans l’état qui les favorise eux. Et si ces sujets “foutent le bordel”, c’est rarement parce que leurs auteurs plus ou moins “SJW narrativo-vegan” les expriment sur un ton agressif dès le départ, mais bien plus souvent parce que les réactions à ces sujets sont, elles, aussitôt agressives et volontairement incendiaires. Ces réactions peuvent se le permettre, puisque qu’elles sont légitimées par la majorité. Et ça n’a toujours (potentiellement) aucun rapport avec l’opinion personnelle des modo.

Mais, bien sûr, à chaque fois qu’on dénigre méchamment leurs opinions, les progressistes s’énervent à leur tour et ça devient la foire d’empoigne sur la place de l’église rôliste.

En bref, en 2018 comme depuis des temps immémoriaux, si des vagabonds contestataires tiennent des propos qui dérangent les croquants au point qu’ils brandissent leurs fourches, c’est la faute au vagabond qui trouble l’ordre social (conservateur) et attise des émeutes… contre lui-même (il est un peu con, ce vagabond, mais notez que c’est l’une des sources de la mystique sacrificielle chez les révolutionnaires de tous poils).

Les pouvoirs publics ont alors à cœur de soutenir la majorité contre la minorité (en fait les dominants contre les troubles-fêtes) pour maintenir le fameux statu quo : là encore, ça ne présume guère des opinions des gendarmes, ils font leur boulot traditionnel. Et dans le doute, on peut en fin de bagarre reconnaître les vagabonds à ce qu’ils finissent cloués au linteau des granges : c’est bien fait pour leur gueule, et l’ordre établi perdure.

Le phénomène est probablement plus ancien que l’écriture, mais il a été grandement accéléré sur les réseaux sociaux puisque l’effet de foule y est permanent et qu’on y a même plus besoin de faire l’effort de brandir des outils agricoles ou de pointer sa frimousse sur la place de l’église : on peut créer l’équivalent textuel d’une émeute rien qu’en disant des méchancetés anonymement.

Les vagabonds y sont aussi plus nombreux et plus facilement rassemblés car infiniment plus mobiles (dans un espace virtuel), mais surtout plus prompts à la contestation, puisqu’ils ne risquent plus d’être vraiment cloués au linteau de vraies granges. Et comme de fait ils ne sont plus éliminés par les croquants, ils reviennent d’autant plus vite à la charge et c’est l’émeute virtuelle trois fois par jour, aux heures de pointe des connexions.

Et, objectivement, c’est chiant. Mais comme la solution semble reposer sur le fait qu’on fasse tous preuve de courtoisie même dans le débat ben… c’pas gagné, quoi.

Mais, dans la lutte éternelle des vagabonds et des croquants, QUI SONT LES TROLLS ? Hé ben c’est devenu extrêmement fluide, figurez-vous, au point qu’ils se confondent avec les elfes…

Si le phénomène “troll” est en réalité plus large que ce que je décris ici, il est d’abord intéressant de noter que, souvent, les trolls revendiqués se voient eux-mêmes comme des vagabonds contestataires.

Mais lorsqu’il n’est pas revendiqué, le qualificatif est subjectif : le troll, c’est toujours l’autre, largement défini par le fait qu’il nous fasse chier. Dans l’absolu, on serait presque capable de distinguer un détracteur légitime d’un troll s’il fait l’effort d’écouter un peu notre point de vue et d’argumenter ses propos mais, si la discussion s’envenime, le premier qui lâche une insulte (réelle ou perçue) gagne aussitôt l’étiquette “troll”.

Et pour peu qu’on colle au troll quelques injures avec cette étiquette, tout le monde est rapidement “trollé” et la colère s’enflamme comme une traînée de gasoil à travers les communautés d’émotions que sont souvent les réseaux sociaux : le village prend feu et, quand il y a une maréchaussée, elle intervient. Presque toujours en faveur de l’opinion dominante puisque, si vous avez bien suivi, du point de vue de la société des croquants, ce n’est pas d’avoir saisi leurs fourches qui a déclenché l’émeute, c’est l’opinion dissidente du vagabond.

C’est la définition exacte des “fauteurs de troubles” : ils sont coupables parce qu’ils irritent.

On m’a fait remarqué que, par ailleurs, la “majorité” n’est pas une valeur immanente : pour savoir sur qui taper, la maréchaussée ne peut pas compter les manifestants à tous les coups et doit donc “approximer”, parfois inférer quelle opinion est majoritaire, donc qui sont les croquants à défendre et les vagabonds à taper. Parfois, les gendarmes reçoivent effectivement des directives de “plus haut” mais, le plus souvent, quand il y a déjà trop de monde pour compter sur ses doigts, la maréchaussée ne compte plus que les braillards dans les deux camps.

C’est certainement dans ces cas-là que l’idéologie propre du gendarme commence à jouer : il a tendance, comme tout le monde, à préférer les opinions semblables aux siennes et donc à taper sur ceux qui le froissent.

Mais même s’il reste héroïquement neutre, il ne pourra au mieux établir la “majorité” que sur la totalité des voix exprimées. Et là, gag : non seulement on organise rarement un scrutin bien propre au début des émeutes, mais il y a toujours des croquants qui se croient contestataires et des minoritaires qui se croient majoritaires.

Ça complique quand-même pas mal le boulot du flic, admettons-le…

Tout ça n’est pas très démocratique, mais c’est habituel : la démocratie c’est dur, donc ça rate souvent (continuons d’essayer) et en tant que société, on a pas fini de s’extraire de l’obscurantisme qui nous faisait clouer les vagabonds aux portes des bergeries (pour changer un peu).

Ce que je trouve toutefois fascinant sur le Net, c’est que l’identification comme “vagabond contestataire” ou “croquant conservateur” ne dépend plus tant du village que des fluctuations très rapides des opinions. Simplement parce que le “village global” est beaucoup plus fluide que son modèle historique…

D’abord, les opinions ne sont plus unifiées par de grandes idéologies, et elles sont donc plus fragmentées et diversifiées : ça signifie qu’on peut déjà se retrouver vagabond ou croquant suivant le sujet d’engueulade.

Par exemple, tant que l’opinion publique est grossièrement anti-raciste, les racistes sont les contestataires et l’éventuelle maréchaussée (modération, arbitrage, tribunaux…) les punit eux. C’est relativement récent en Europe, carrément pas acquis aux USA, mais en tout cas troublant pour ceux qui, comme moi, avaient un peu pris leurs aises aux linteaux des granges : désormais, à ce sujet, je suis privé de mes oripeaux contestataires car rejoint par la majorité des croquants.

Si on cause de capitalisme, ce sont les socialo-égalitaristes d’ultra-gauche qui sont les vagabonds (mais au moins c’est notre rôle historique : c’est plus confortable), et c’est eux que le pouvoir écrase.

Sur les sexualités, c’est plus variable, ça dépend des villages.

Mais l’un des progrès du féminisme peut justement être mesuré au fait que, depuis peu, la maréchaussée ne sait plus où donner de la tête : elle n’arrive plus à reconnaître les vagabonds des croquants, parce que les deux foules sont aussi nombreuses dans la plupart des villages…

Quoique pas encore dans le village rôliste parce que, contrairement au reste du canton (où c’est très souvent 50/50), les femmes y sont encore trop peu nombreuses.

Avec tout ça, si vous êtes un capitaliste anti-raciste vaguement capable de sexisme ne serait-ce que par erreur, soit à notre époque un mec normal (parce que “dans la norme”), vous pouvez vous retrouver tantôt vagabond, tantôt croquant dans des discussions différentes. Et si en plus le sujet digresse, ce qui arrive très souvent, vous pourriez commencer une conversation avec votre fourche à la main et quand-même finir cloué à la grange !

À mes yeux, ça met en valeur le vrai débat d’opinion plutôt que l’adhésion à un groupe (j’préfère), mais ça complique quand-même un peu l’identité sociale, hein.

Le second phénomène est celui qui me fascine le plus : la rapidité avec laquelle les gens passent désormais du rôle de “vagabond contestataire” à celui de “croquants conservateurs”, non plus seulement selon les sujets qui les choquent ou qui leur plaisent, mais principalement selon cette loi du nombre et ses marées, donc les variations constantes d’une même opinion de “majoritaire” à “minoritaire” en très peu de temps.

Parce que les limites du village sont désormais très vagues et ses chemins extrêmement faciles d’accès, donc que sa population peut changer très vite avec les flux, les reflux et les heures de pointe. Sur un même sujet, maintenant la même opinion, on peut être le vagabond vers midi et le croquant vers 15h. Techniquement, vous tenez le même discours, mais ce sont les forces sociales qui se sont réorganisées autour de vous, souvent sans prévenir.
Comme ça, pouf : on change de camp sans même l’avoir choisi.

Et ça semble encore plus vrai pour les petits villages, comme celui du JdR, où la faible population totale implique que l’opinion dominante peut varier rien que parce que la lavandière est partie pisser ou que trois clampins sont revenus des champs. Évidemment, on peut toujours fragmenter le village encore plus pour fonder ailleurs une communauté plus en accord avec nos opinions mais, dès que nos opinions y seront majoritaires, on va alors se retrouver dans le rôle des croquants.

Sincèrement, c’est aussi dérangeant pour ceux qui ont l’habitude d’être des dominants (“Tout fout le camp ! Vous piétinez la tradition d’évasion rôliste avec vos sales problèmes de société ! Pourquoi êtes-vous si nombreux !?”) que pour ceux qui se font d’ordinaire une gloire d’être des contestataires : on est là, peinard, sur son linteau de grange avec son drapeau noir et, quand le RER relâche soudain un troupeau d’autres rôlistes sur les réseaux, on se retrouve avec une fourche à la main. Et ces salauds de croquants obscurantistes, eux, se drapent dans la cape héroïque mais trouée des opprimés dès qu’elle nous tombe des épaules.

Ah.

Vous imaginez si, en pleine bataille, la couleur des uniformes changeait d’un coup ? Pire : si tous les uniformes ne changeaient pas en même temps ? Est-ce qu’on se massacrerait de plus belle dans le plus grand désordre, est-ce qu’on se dépêcherait de reformer des bataillons plus vite qu’on est capable de s’habituer à ses nouveaux frères d’armes… ou est-ce qu’on arriverait à relativiser nos rôles sociaux pour (par exemple) tâcher de se rappeler de nos véritables opinions ?

Est-ce qu’on profiterait du trouble pour aller déjeuner tous ensemble ? Est-ce qu’on se battrait à nouveau avant le dessert ?

Il faudra sans doute un peu de temps pour qu’on s’habitue au phénomène et qu’on en tire des réflexions un peu “transcendantes” : qu’on dépasse finalement nos habitudes de croquants ou de vagabonds, le trouble et l’exaltation de nos changements de costume, et qu’on prête attention à la relativité du troll.

Mais au delà du trouble de ces changements de rôles sur Internet, au-delà même du phénomène de bulles d’opinion qu’on commence à expérimenter avec nos réseaux d’affinités, ça me rappelle une idée aussi farfelue que délicieuse tirée d’un épisode de Dr Who : le seul moyen de négocier équitablement, c’est quand les diplomates ignorent chacun pour quel camp ils bossent.

Ballotés par les marées d’opinions, tour à tour vagabonds et croquants, je me demande à quelle distance on est de l’équité par la perte d’identité…

Le challenge pour les modérateurs est lui aussi très intéressant : se contenter de défendre l’opinion majoritaire pourrait bien, à courts termes, s’avérer une position intenable. Parce que si la “majorité” change avec chaque marée, il va forcément falloir se positionner autrement, et la maréchaussée se doit alors de s’interroger : est-ce qu’elle va défendre une opinion tant qu’elle est dominante, au risque de se retrouver chez les vagabonds le lendemain ? Est-ce qu’elle n’aurait pas plutôt intérêt à exercer son rôle de “modération” d’une manière justement libérée de l’opinion : non plus se laisser aller à l’étiquetage des trolls sur la base des opinions fluctuantes, mais intervenir pour réguler les comportements, à partir de règles autrement plus claires sur ce qui relève de la liberté d’expression, de la courtoisie ou de l’insulte ?

Ce qui revient finalement à re-qualifier les trolls non plus sur l’aspect contestataire de leurs opinions, mais sur leur forme : n’est plus alors un troll celui qui énerve les croquants, mais celui qui insulte et qui attaque. C’est à dire, sans doute, le premier qui pointe sa fourche contre autrui d’un air menaçant.

C’est une position beaucoup plus instable et complexe pour la maréchaussée, hein, surtout quand on compare aux villages d’antan, où l’on pouvait aisément distinguer les bons croquants bien de chez nous des vagabonds étrangers. Mais finalement, c’est peut être bien plus vivable que d’essayer de défendre une majorité flottant au gré des marées d’opinion.

Je ne surprendrais personne en avouant que, pour ma part, quand j’étais modo, je me préoccupais effectivement plus du ton et de la virulence que du fond des propos (sauf quand ils étaient “contraire à la loi”, mais en réalité c’est rare, même dans le village numérique fluide et anonyme) : de fait, pour DdR comme pour tous les lieux de discussions, mon “opinion” sur la modération penche clairement de ce côté-là.

Mais je le faisais à l’époque pour des questions de valeurs républicaines, donc d’idées, voire d’opinion. Aujourd’hui les fluctuations du village amène un argument complètement différent, purement pratique : je ne crois simplement pas que la défense des croquants reste une stratégie applicable si on n’arrive plus à identifier la majorité.

Et je dédie ce pavé à tous mes amis fâchés ou gendarmes.

(Image: “La guerre de paysans – le rassemblement” par Constantin Meunier, via Wikimedia Commons, domaine public)

Sébastien Delfino est alternativement graphiste, illustrateur, prof, game-designer et parfois rédacteur pour les magazines de JdR. En plus de conférences et d'un paquet d'articles, on peut trouver ses "Carnets Ludographiques" et autres podcasts sur Memento Ludi (http://mementoludi.net/)

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3 réflexions au sujet de “Trolls, elfes, contestation & modération”

  1. Un sujet complexe en effet que la modération de discussions, notamment sur d’énormes plateformes avec des gens ne maîtrisant pas les us et coutumes d’un village. J’ai donné dans la modération et l’animation de communauté il y a très longtemps et il arrive forcément un jour où, le croquant ou le vagabond dépasse les bornes que l’on tentait avec diplomatie de conserver intactes. Maintenant, c’est presque du préventif qu’il faudrait faire.

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  2. Tiens, j’avais lu ça il y a quelques semaines. Je ne sais pas si je suis d’accord avec tout, mais ça avait attiré mon attention sur quelque chose d’intéressant. Cette idée de fluidité entre les communautés, l’impossibilité croissante de reconnaître les croquants des vagabonds… Je pense que c’est l’une des explications à ce qui me rebute dans le « féminisme Internet de la seconde moitié des années 10 » (il faut que je le définisse, parce que je ne renie en aucun cas le féminisme en tant que tel). Il me semble qu’il y a des tactiques qui sont appropriées pour des vagabonds, car ces deniers n’ont pas toujours le choix ou partent en position de désavantage, qui ne le sont pas pour des croquants. Or, dans un paysage où les rapports de force évoluent (et tant mieux!), les tactiques n’évoluent pas toujours en conséquence, et cela est problématique. Ainsi, la violence qui, chez un vagabond, peut être tolérée comme un geste métaphorique ou désespéré, relève de l’intimidiation chez un croquant, qui dispose du pouvoir symbolique. Et je prétends que le féminisme (libéral, en tout cas) est récemment tombé dans le camp des croquants…

    C’est toujours délicat d’aborder cette question avec les féministes, à cause du paradoxe entre le discours officiel (en 2018, le politiquement correct exige qu’on soit féministe) et la réalité… Dans la réalité, les femmes continuent à être victimes de sexisme, de misogynie, de domination masculine, c’est vrai. Mais justement. J’aimerais que cela cesse d’être une excuse pour renoncer à la responsabilité de nos actes (et surtout de nos paroles), et qu’on en prenne acte au contraire pour interroger l’efficacité de nos tactiques.

    En 2018, on ne peut plus dire qu’on n’est pas féministe (sous peine de devenir infréquentable). Et pourtant, dans les faits, peu de choses ont véritablement changé. Les femmes sont-elles plus libres? A-t-on acquis l’égalité salariale? Les viols ont-ils cessé? Cherchez l’erreur… Mais je sais d’avance quelle sera la réponse des féministes libérales : ce sont les mascu et les antifem qui font de la résistance, il faut juste forcer davantage. Hum… Je suis perplexe. (Signé Jeanne, toujours HS, on dirait que je le fais exprès).

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