Ceci n’est pas une critique de Casus Belli n° 1

Or donc, trois semaines après sa sortie, le petit monde rôliste francophone bruisse encore des échos suivant la sortie du premier numéro du magazine Casus Belli, nouvelle nouvelle formule. Relancée par une petite bande de fous furieux, au nombre desquels on trouve quelques-uns des grands noms du jeu de rôle français actuels: John Grümph, Jérome “Brand” Larré, Willy “Brain.Salad” Favre, entre autres, en plus de Didier Guiserix. Oui, le Didier Guiserix! On dit même qu’il y aurait des bellaminettes, c’est dire.

Comme tout le monde, j’ai voulu voir la bête et je suis allé le chercher en kiosque. Enfin, quand je dis “tout le monde”, j’entends “tout le monde en France”, parce que Casus n’est pour le moment distribué qu’en France. Je n’habite certes pas sur France, mais à Genève; c’est tout comme: vingt minutes de vélo, bonjour Saint Julien en Genevois et, deux kiosques plus tard, il est mien!

Cela dit, sans vouloir fâcher personne, je ne vais pas vous dire ce que j’en pense. Pas que je n’ai pas d’opinion sur le sujet, mais j’ai retenu ma leçon.

Par contre, ce que je peux en dire est que nonobstant ses qualités intrinsèques, ce premier numéro confirme ce que je soupçonnais depuis un bon moment: je ne suis pas le public-cible des magazines de jeu de rôle. Le problème est principalement intrinsèque au média et aussi au marché actuel du jeu de rôle.

Je m’explique: un magazine de jeu de rôle comporte en général une partie news, des critiques de jeux, des présentations de gamme, des scénarios et des aides de jeu. De toutes ces sections, la partie news, critiques et présentation de gamme m’est en grande partie accessible sur Internet et, statistiquement, l’ensemble traite de jeux auxquels non seulement je ne joue pas, mais auxquels je n’ai pas l’intention de jouer (D&D et ses multiples variantes, l’Appel de Cthulhu, Rogue Trader…). Genre, jamais.

Qui plus est, le défaut d’avoir un tel plateau de grands noms du jeu de rôle dans la rédaction de Casus Belli pose la question de la pertinence des critiques. Je vous renvoie à l’article lié plus haut et à son prédécesseur, « Échec critique? », mais mon point de vue sur la question est que, si les auteurs de jeu de rôle n’ont pas le droit moral de critiquer le travail des collègues pour cause de conflit d’intérêt potentiel, qui peut ou doit le faire? Plus généralement, il y a la question plus large de savoir comment gérer la question des critiques d’ouvrages dans un média financé en partie par la publicité.

Ça fait un petit moment sur les forums que l’on discute de la notion du “rôliste d’Internet” (dont, fatalement, je fais partie): population considérée comme minoritaire en nombre, mieux informée (ou qui se croit telle) et qui a une influence disproportionnée sur ses congénères. Le rôliste Internet oublie souvent qu’une grande partie des rôlistes obtiennent leurs informations par d’autres moyens (magazines, boutiques, conventions, bouche à oreille). La plupart des créateurs de jeux sont d’ailleurs souvent des rôlistes d’Internet, ce qui n’est pas sans créer des problèmes de compréhension majeurs.

Du coup, l’existence de magazines tels que Casus Belli fait du sens, mais pour quelqu’un comme moi, c’est plus une piqûre de rappel: pas tout le monde s’intéresse au jeux indépendants venus de Suède (ou, plus largement, aux jeux de science-fiction). Cette fracture entre le rôliste moyen et son cousin d’Internet est encore large à l’heure actuelle.

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21 réflexions au sujet de “Ceci n’est pas une critique de Casus Belli n° 1”

  1. L’année 2001 a appelé, elle aimerait récupérer son monolithe, err non, sa vision du monde ludique. Nous sommes en 2010, la date de la première édition de Cyberpunk. Affirmer que les rôlistes qui ont accès à internet sont une minorité est à mon avis une grosse affabulation. Le taux de pénétration d’internet était, en France de 60% en 2009, donc même en imaginant que les rôlistes soient complètement dans la norme sur cet aspect, les rôlistes internet sont la majorité. Je suis prêt à parier que le taux de pénétration auprès des rôlistes ait bien plus élevé de facto.
    Copinage et vision dépassée et vaguement élitiste et condescendante de son public cible, cette nouvelle incarnation semble nourrie aux bonnes mamelles…

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    • Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. J’ai voulu dire qu’il y avait une majorité de rôlistes qui n’utilisent pas Internet pour s’informer sur leur loisir. Pour donner un nom au hasard, je doute que le lectorat du site Tigres Volants corresponde à 60% des gens qui y jouent.

      Il ne faut pas oublier non plus que la tendance des utilisateurs d’Internet est à la balkanisation des centres d’intérêt, donc en admettant qu’un rôliste s’informe sur Internet, il va sans doute se concentrer sur les jeux auxquels ils jouent et en privilégiant une ou deux sources.

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      • Ok, mais si tu admets que les gens ont en majorité internet, pourquoi concevoir un magazine comme quand ça n’était pas le cas? Les scénarios sont un bon exemple. Soit ils sont générique med-fant, soit ils sont spécifiques à un jeu et donc d’aucun intérêt si tu ne joues pas au dit jeu. Personnellement, j’aurais trouvé plus intéressant d’avoir un magazine qui soit une sorte de “front-end” à un site web du genre de la scénariothèque.

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        • Ah, mais on est tout à fait d’accord – sur ce point, en tous cas. C’est d’ailleurs très dommage (et presque parlant) que le site de CasBé soit encore “en construction”.

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      • J’aurais une question qui, en 2010, peut paraitre réactionnaire mais: sur quelles sources te base-tu pour affirmer que “il y avait une majorité de rôlistes qui n’utilisent pas Internet pour s’informer sur leur loisir” ?

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        • C’est une estimation faite selon la méthode scientifique dite du “doigt mouillé” et qui est en grande partie basée sur des discussions avec certains acteurs du jeu de rôle francophones (auteurs, animateurs de site, etc.).

          Disons plus simplement que si on compare une estimation du nombre de joueurs en France (Wikipédia avait un temps le chiffre d’entre 100 000 et 400 000, basé sur les ventes de jeux) et la fréquentation des “gros” sites d’info, on voit que le compte n’y est pas, même en les mettant ensemble.

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  2. J’ai aussi acheté ce nouveau numéro de Casus Belli, par nostalgie. Je ne le referai pas. Non qu’il soit mauvais, mais ça n’a plus temps d’intérêt pour quelqu’un comme moi qui ne pratique plus. De plus, le contenu des aides de jeux paraît bien léger pour un vieux routard, mais trouvera sans doute son public.

    Ceci dit, j’ai trouvé qu’il proposait un bon panorama de ce qui était actuel et, si je devais me remettre au jeu de rôle avec la volonté de choisir un nouveau jeu, j’en achèterai sans un exemplaire pour me remettre au parfum.

    Je continue à m’interroger quand même sur l’intérêt réel d’un tel magazine. Déjà sur la fin de Casus Belli 1ère incarnation, je crois que je restai abonné plus par habitude que par réel intérêt pour le matériel qu’il proposait.

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    • Je crois que c’est le principal intérêt pour quelqu’un comme moi: c’est un miroir de l’activité rôliste lambda aujourd’hui en France (et, partant, en Francophonie), une sorte de reality check.

      Je me demande si, au final, je ne vais pas voir pour refiler mes exemplaires à des gens plus intéressés une fois lus.

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  3. Ah oui, quant aux critiques de jeux de rôle, elles sont rarement totalement objectives à mon avis, car le milieu est bien trop petit. Quand tout le monde se connaît, critiquer trop fort c’est soit scier la branche sur laquelle on est assis, soit cracher dans la soupe.

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  4. Je suis stupéfait de ce que j’ai lu. L’impression qu’il y a clairement un malaise dans le milieu du JDR. Comment ne pas s’offusquer quant on lit que le milieux est trop petit et qu’il faut éviter de critiquer pour ne pas vexer le créateur. Une critique qu’elle soit négative ou positive est normalement perçu par le créateur comme un guide de voies a suivre non. Si plus personne ne fait son travaille d’analyse des œuvre le milieux fini par se sclérosé persuadé que tel ou tel formule est bonne alors que c’est totalement faux. Car justement partis du constat que personne se plaint et qu’en plus on a vendu tout ce qui avait en boutique. Alors non c’est aller au mur que de penser de la sorte et en plus c’est se moquer du consommateur en ne l’écoutant pas. Alors pour ma part c’est le contraire que je pense qu’il arrive. Si le JDR en est la c’est a cause de se genre de connivence qu’il en est la. Le consommateur a fini par délaisser le marché car on ne l’écoute plus et ce dernier marche en avant tel un autiste n’écoutant personne. Et pourtant on se rend compte que cela se vend mal et qu’il est difficile d’en vivre. Bref on a les pied sur la tête. Si on veux ouvrir le secteur il est plus que temps d’écouter les consommateurs et arrêter de regarder son nombril.

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    • Il y a un dicton anglais qui dit que tout le monde est un critique; en jeu de rôle, non seulement c’est vrai, mais en plus, tout le monde est un auteur.

      D’un côté, je comprends tout à fait le point de vue des auteurs et éditeurs qui, essayent, sinon de vivre de leurs œuvres, tout au moins de les faire vivre tout court: il fut un temps où une critique négative dans Casus Belli (ancienne époque) équivalait plus ou moins à un décret de mort pour le jeu en question. Dans cette optique, voir un auteur casser le jeu de quelqu’un d’autre peut se comprendre comme un déclaration de guerre.

      Maintenant je suis d’accord avec toi que c’est une situation qui est intenable à moyen ou long terme. Ce n’est juste pas sain. Le problème est qu’il semble qu’on ne soit pas très nombreux à le penser.

      Quelle solution à cette situation? Je n’en sait trop rien, mais je pense qu’un magazine pourrait déjà atténuer les impacts d’une critique négative en adoptant une formule qui présenterait le jeu de façon aussi objective que possible et agrémenterait cette présentation d’au moins deux critiques brèves, un peu comme ce qui se faisait dans les magazines de jeux vidéos (à l’époque où j’en lisais, donc).

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      • Pour les magazine je pense que le souci est tout autre. Car si ils font des critique trop tiède cela peu être très mal perçu par le lecteur. Il faut que le magazine soit un minimum engagé dans une certaine optique de “l’excellence”. Qu’ils sachent ce qu’est un bon produit et le fasse savoir dans la publication. Les lecteurs sont rancuniers et se souviennent des critiques trop complaisantes qui leurs on fait acheter un produit qui ne leurs plaît pas.

        Après en JDR la situation est particulière car je connaît quasiment pas de jeux réellement mauvais. Tout dépend de ce qu’en fait le MJ. Donc un bon sens pour les critiques serait plus d’orienter les gens en fonctions de leurs goûts un peu a l’image des vignettes sur les critique du premier casus.

        Et en parlant de certaines critiques cassantes de casus je m’en souviens encore et c’était vraiment de l’hypocrisie. Je ne comprend même pas comment ils on pu faire de tels articles.

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        • Je ne suis pas certain que le lecteur mi-moyen sache reconnaître une critique complaisante et je pense que ce n’est pas le problème principal.

          Quant aux “mauvais” jeux, c’est clair qu’un bon MJ sait faire feu de tout bois, mais ça n’empêche qu’il existe des jeux qui, en tant que produits, sont objectivement mal branlés.

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  5. Moi j’ai quand même trouvé que ce premier numéro se défendait. Certes il n’a pas la même saveur que les tous anciens Casus, mais il y a quand même quelques bons éléments. C’est pas dans les news (où quand on est sur Internet, on est au courant de tout avant tout le monde), ni dans les critiques (effectivement difficile d’être juge et partie) mais plutot sur les articles de fond et les scénarios.

    Sur la fracture online/offline, je suis d’accord avec toi : je le vois notamment quand je vais sur des conventions, des tas de rolistes ne sont pas “présents” en tant que rolistes sur Internet et peuvent donc être plus la cible du magazine. Je pense que je continuerai à acheter, mais reste à voir s’ils tiendront le rythme mensuel et si les finances suivront, car 1 par mois, c’est ambitieux.

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      • Je crois que oui, tout le monde est parti de ce postulat ^^.
        Moi en tout cas, je peux dire qu’il m’a bien plu ce Casus. Pas parce qu’il est bien ou pas bien, parce qu’il représente telle ou telle réalité – ou pas. Juste parce que sa lecture fut plaisante, et qu’il m’a donné envie de maitriser les “étranges époques” de Cthulhu 6 alors que je n’ai jamais fais du Cthulhu autrement qu’en lisant du Lovecraft, et de jouer à Devastra, sans pour autant me faire découvrir le jeu, qu’un ami a déjà.
        Il est bien, juste parce qu’il m’a donné envie de jouer, et c’est certainement le plus important.

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  6. J’ai vu le dernier casus.. j’ai feuilleté distraitement le dernier casus… je ne le referais pas. A mon avis, si l’initiative est géniale, je dois être désormais trop dinosaure et fossilisée pour m’y intéresser, et, comme le dit Alias, je fais partie des gens qui trouvent leur bonheur sur le Web, un magazone papier devient alors sans trop d’intéret. Mais il doit exister… ne serait-ce que parce que si tout le monde a internet, et sait s’en servir, hein, Alias, le Google-gu et autre instinct de recherche n’est par contre jamais très bien ancré.

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  7. Moi j’ai bien aimé ce premier numéro. Quelques défauts de jeunesse, mais globalement dans mes attentes et j’achèterais le 2 quand (si) il sortira.

    Pour ce qui est des rôlistes et le net : la quasi-totalité des rôlistes rencontrés en Haute Savoie ne regarde quasiment jamais internet pour les news et les critiques… Et quand j’étais sur Paris, pareil. 🙂

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