Création de contenu et financement en 2016

L’année 2015 aura fait pas mal de victimes; parmi elles, je crains que l’on n’ait à compter Flattr, le service de micropaiement. Ce qui m’emmerde passablement, vu que c’était à mon avis une des meilleures idées pour le financement du contenu sur Internet. Du coup, je me demande un peu quelles solutions de financement restent à la disposition des créateurs de contenu en 2016.

Il est vrai qu’on peut se dire, comme Neil Jomunsi, que la création ne payera jamais plus, sauf pour quelques privilégiés – le désormais proverbial 1%. Ce n’est pas forcément faux, mais j’ai l’impression que c’est également une prophétie auto-réalisatrice: à force de se convaincre que la création ne paye pas, les créateurs vont finir par ne plus chercher à être rémunérés.

C’est vrai aussi qu’à mon niveau, je n’ai techniquement pas besoin d’être payé pour ce que j’écris: j’ai un travail salarié qui couvre plus que complètement mes dépenses. Néanmoins, à un certain niveau, j’ai la prétention de produire quelque chose de niveau professionnel et je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas également prétendre à une rémunération. Sans même aller jusque là, je pense qu’il est juste que les gens qui créent reçoivent une petite obole pour leurs œuvres. Question de bonnes pratiques.

À côté de cela, je suis un partisan des licences libres et de ce qui est en quelque sorte leur corollaire, le prix libre. Les licences libres, c’est l’aboutissement de la logique qui dit que publier, c’est rendre public et qu’une œuvre publique n’appartient plus réellement à son auteur, mais au public, précisément. Quant au prix libre, c’est juste l’élaboration de ce que je disais plus haut: un créateur mérite de recevoir quelque chose pour sa création, même si ce “quelque chose” n’est pas forcément de l’argent (commentaire, promotion, etc.).

Ceci posé, quelles alternatives reste-t-il à un créateur pour permettre à son public de le soutenir financièrement?

Publicités et assimilés

La pub: c’est à mon avis la pire idée; un peu comme le dit le vieux slogan antimilitariste: ça tue, ça pollue et ça rend con. Bon, ça ne tue pas vraiment, mais visuellement, ça pique les yeux et aussi le cerveau. Et, à mon avis, à moins d’avoir un trafic de malade et des visiteurs qui n’utilisent pas de bloqueurs de pub – catégorie de plus en plus rare – ça ne rapporte pas tant que ça non plus.

Les liens d’affiliés: certaines boutiques en ligne, notamment Amazon, proposent une commission sous la forme d’un (petit) pourcentage sur des ventes faites depuis un lien venant de votre site web. Avantage: c’est bien moins intrusif que de vraies pubs. Désavantage: si on considère qu’Amazon n’est pas exactement un modèle d’éthique, ça reste quand même de la pub.

Les dons directs

Le bouton PayPal: c’est un peu le degré zéro du prix libre, pas forcément très pratique pour les petits montants, et c’est lié à un outil de paiement qui n’est pas forcément des plus fiables, surtout pour les petits créateurs, mais ça fonctionne.

Flattr: même si j’ai des gros doutes sur la viabilité à moyen et long terme de cet outil et même si sa nouvelle mouture peine à convaincre – sans parler d’être installée – il faut quand même avouer que Flattr reste un des systèmes les plus pratiques et les plus intuitifs pour les créateurs. Avec un peu de chance, quelqu’un va bien finir par se réveiller et en faire quelque chose.

ChangeTip: en termes de facilité d’usage, ChangeTip est un outil passablement bluffant. J’en avais déjà parlé et, depuis, il s’est encore amélioré. De plus, son principal souci – la dépendance aux bitcoins – a été résolu par la possibilité de rajouter des fonds via cartes de débit (américaines uniquement, pour le moment) ou par PayPal. Il faudrait maintenant que ChangeTip gagne en visibilité.

Les écosystèmes

Carrot: il s’agit d’un site sur lequel on peut à la fois proposer un contenu et lui offrir des “carottes”, c’est-à-dire un don, avec en plus l’idée qu’un découvreur de contenu gagne une petite partie des “carottes” données par d’autres. L’idée est sympa, mais le site a le défaut d’être son propre écosystème: si on ne va pas régulièrement sur Carrot.org – et, soyons honnête, peu de monde y va – l’intérêt est très limité.

Pressformore: j’avoue que j’ai un petit peu du mal à appréhender Pressformore à sa juste valeur; je l’ai compris comme une sorte d’hybride entre un gestionnaire de flux RSS, un outil de découverte de contenu et de sons, mais je n’accroche pas du tout, ni au concept – qui, de mon point de vue, souffre du même défaut que Carrot, à savoir un écosystème fermé dans un web ouvert. Certains, comme Le Greg, sont plus enthousiastes.

Le mécénat

Patreon ou Tipeee proposent une plateforme de dons ponctuels, par épisode ou par mois, pour les créateurs de contenu, à partir de 1$/€. En théorie, c’est plutôt idéal si on a un projet éditorial – ou quelque chose s’en approchant – mais c’est moins pratique quand on est un touche-à-beaucoup-de-choses (blague eyldarin) dans mon genre, avec du blog, de la photo, de la rédaction longue, etc.

Bien évidemment, l’idéal n’est pas de se concentrer sur un outil, mais d’en proposer plusieurs. Ça rend peut-être la gestion un poil plus compliqué, mais honnêtement, le coût de placer un bouton Flattr / ChangeTip / Paypal sur son site ou blog est à peu près nul. Les choses sont plus compliquées avec les systèmes de mécénat, qui demandent un minimum de préparation et de gestion des projets, quant aux deux “écosystèmes”, Carrot et Pressformore, il faut juste prier pour que vos lecteurs les utilisent…

En fait de “prier”, il faut aussi une bonne dose “d’évangélisation” – en d’autres termes, de pédagogie pour amener vos lecteurs à devenir également des donateurs, ponctuels ou continus.

(Photo: Dave Dugdale via Flickr, sous licence Creative Commons, partage dans les mêmes conditions.)

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15 réflexions au sujet de “Création de contenu et financement en 2016”

  1. Il y a aussi l’option « tous ces Flattr/carotte/Paypal vont me coûter un max en temps et en maintenance par rapport à la misérable obole que je vais en récolter, donc on va attendre d’avoir le centième de l’audience de Korben avant d’y jeter un œil ». Sinon ce n’est pas rentable.

    Moi aussi j’ai un boulot salarié et si j’en avais pas, mon petit blog touche-à-tout ne sera de toute façon jamais mon activité principale. Le plaisir que j’en retire égoïstement suffira.

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    • La plupart de ces options ne coûtent pas tant de temps que cela. Les seules qui demandent un minimum de gestion, ce sont les options de mécénat (Patreon/Tipeee); ce sont aussi celles qui rapportent le plus, en théorie.

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  2. Même si ne me prend que quelques heures pour évaluer, me renseigner, paramétrer, je doute que cela me rapporte plus de quelques euros par mois. Pas rentable. Oui, j’ai plus besoin de temps que de quelques euros en plus, c’est un problème de riche 🙂

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  3. Honnêtement, si j’ai intégré un bouton Flattr et me suis inscrit sur PFM, je n’en ai rien retiré et donc, ayant d’autres chats à fouetter, j’ai tout simplement jeté l’éponge.

    Pour ma part, concernant la création de contenus numériques, je garde l’idée d’une bouteille jetée dans un vaste océan. Si quelqu’un s’en saisit, tant mieux. Sinon, tant pis! 🙂

    La rémunération de contenus numériques restera dans mon cas un miroir aux alouettes. Une minorité a réussi, bien entendu, cependant plus car au bon endroit-au bon moment (de la chance, en définitive) que par une persévérance acharnée.

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  4. Il y a un an j’aurais recommandé Gratipay , malheureusement le projet a déraillé depuis, mais un remplaçant va être lancé début 2016 (s’il n’y a pas de contretemps) : Liberapay .

    Tandis que Tipeee, Patreon et Flattr ne sont ni sous licence libre ni à prix libre, Liberapay et son prédécesseur sont les deux à la fois : le code du service est libre, et le projet est financé par des dons directs plutôt qu’en prenant une commission sur les dons des autres.

    (Bon, ça fait un peu autopromotion comme commentaire, mais au moins je ne suis pas hors-sujet.)

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  5. Dear Stéphane Gallay,
    I am sorry I do not speak French so have only read your article via Google translate so maybe I do not understand very well. You said that Carrot is a closed system but I don’t understand what you mean by that. Carrot may freely be used by anyone with a Browser and donations may be given to any web site so I don’t understand why you say it is ‘closed’.

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    • Hi Ricky and welcome to my blog!

      My apologies for the misunderstanding: I did not mean to say that Carrot was a “closed system”, more that it worked mostly through the catalog on its own web site.

      True, one can use a bookmarklet to give carrots to content from outside, but I struggled a bit to find it on the site. And one of the interesting elements in Carrot, the “referrer’s bonus”, almost only applies to carrots given from within the catalog.

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      • Dear Stéphane – Actually what you call the catalog is intended to simply be a way of discovering new content and is quite independent of the giving and getting back. The « referrer’s bonus » (or Get Back as we say), is always distributed among the previous givers and has no direct connection to the ‘catalog’.
        I’m sorry you had a problem finding the Bookmarklet feature. This is important as it should be the primary method of Giving and as I said the Get Back part is totally automatic. There is also a donation button that the website owner may add to their site if they wish – although CRITICALLY this is not a requirement.
        At Carrot we will try to improve the service and welcome any suggestions – although we have limited resources but we will try.
        Anyway, thanks for the mention in your Blog.
        Ricky

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        • Dear Ricky,

          If I should give a suggestion for the improvement of Carrot, it would be to make it a bit more “noob-friendly”, as in having a page for explanations of what the system is and how it works. I have the feeling it’s not very obvious from the get-go.

          Also, this is a system where you definitely benefit from having a lot of users and, at this moment, it feels a bit “empty”.

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    • Il y a surtout une différence majeure entre la pub et tout système de don/mécénat, c’est celui entre le contenu subi et le contenu choisi. La pub est imposée là où le don est quelque chose de choisi. En général.

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  6. le problème est plus général, et concerne la valorisation de la production au sens large. C’est un problème qui est aujourd’hui plus présent qu’avant, car beaucoup de système de distributions/redistributions ne fonctionnent plus, ou ont disparu, voire sont contre productifs et détruisent la production au lieu de la valoriser. Mais c’est vrai pour tout type de production, de la création artistique à la côte de porc en passant par le jouet en bois. C’est pourquoi le concept du Prix Libre reste un outil commercial intéressant, pour les indépendants ou autres, car cela permet d’avoir une offre d’appel et de rendre visible un travail qui ne le serait pas autrement… je viens juste de publier un article sur le Donationware (anglais et français) pour illustrer un cas pratique dans le secteur du logiciel: http://vb-audio.pagesperso-orange.fr/Voicemeeter/Donationware.htm

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    • Merci pour ce commentaire et bienvenue sur ce blog!

      C’est vrai que le Donationware est un peu l’ancêtre du prix libre, dans l’esprit.

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