Demain, mon oasis: créer et exister sans Facebook?

Peut-on être un créateur et exister sans Facebook – ou n’importe quelle autre grande plateforme centralisée? Il y a un peu moins d’un mois, je parlais de la prise de conscience chez un certain nombre de créateurs que ces grandes plateformes – au premier rang desquelles on trouve Facebook et Google (notamment via YouTube) – avaient une politique qui pouvaient se résumer à “nous ne voulons que vos biens”.

Visiblement, c’est une question qui travaille pas mal de monde, car quelques semaines plus tard, un mini-débat poppait sur Twitter, autour de plusieurs auteurs comme Saint Épondyle, sur ce même sujet: comment être visible, en tant que créateur, si les grands réseaux centralisés ajustent de plus en plus leurs algorithmes pour favoriser leurs clients.

Le souci, avec Facebook (et assimilés), c’est, d’une part, que ce sont des plateformes qui sont devenues ubiquitaires, au point d’être quasiment synonymes d’Internet. Je suis persuadé qu’il y a des gens qui passent 80% de leur temps en ligne sur Facebook, voire 95% si on y ajoute YouTube et le moteur de recherche de Google. Je veux dire, j’ai vu des collègues qui utilisaient Word pour tout faire sur leur ordi (y compris ouvrir des photos), donc ça ne m’étonnerait même pas.

D’autre part, beaucoup des utilisateurs oublient que ce ne sont pas des organismes de bien public qui les gèrent, mais des corporations. Qui, par définition, n’ont qu’un but: donner des sous à leurs actionnaires. Les deux combinés font qu’on a une technologie quasi-hégémonique et un public quasi-captif pour qui il n’y a juste pas d’alternative.

Tout ceci ne fait pas notre affaire, à nous autres créateurs! Pas qu’il n’existe pas d’alternative, mais que ça va être du boulot si on veut que notre public potentiel nous y suive. Cela dit, de mon point de vue, il n’y a pas de miracle: Facebook est une plateforme qui est de plus en plus hostile aux petits créateurs. Alors soit on continue d’arroser un désert, soit on essaye de se bricoler sa propre oasis en incitant les gens à y venir.

C’est à ce point que mon billet se transforme en ce qui devrait être ma feuille de route pour 2019.

Une oasis de création

Comment construire son oasis, donc? D’abord, en se reposant le plus possible sur des technologies que l’on contrôle un minimum. Le must, c’est d’avoir un site et/ou blog qui va servir de point central à son activité en ligne. Ce site devrait, de préférence, être hébergé sur une plateforme contrôlée par le créateur.

C’est un investissement, certes (autour de €100 par an, y compris le nom de domaine), mais je pense que ça vaut le coût. Si on veut être hardcore, on peut se lancer dans l’auto-hébergement, mais il faut savoir ce qu’on fait.

Ensuite, le but du jeu est d’attirer le plus possible son public vers cette oasis. C’est là où les choses longues et chiantes commencent: il va falloir défaire des habitudes – les vôtres et celles de vos lecteurs potentiels.

Le concept premier, c’est de dire “mon site (ou blog) est le centre de mon activité en ligne”. Et, par “le dire”, j’entends “le faire savoir”; dans cette aventure, il va falloir faire preuve de beaucoup de patience et “d’évangélisme”.

Pour vous, créateur ou créatrice, cela signifie arrêter de publier directement sur les réseaux sociaux, autant que possible. Oui, je sais: j’avais dit “sans Facebook”; disons que j’ai quelque peu exagéré.

Tout le contenu doit être en priorité sur le site; sur les réseaux, ne faites qu’un partage de liens. Ou alors fournissez des versions abrégées, basse résolution ou autres. Et faites-le savoir: ajoutez une phrase du genre “la suite sur mon site” ou “contenu en haute qualité sur…”

Alors il y a des contenus pour lesquels une telle politique n’est pas pratique. Pour des textes, éventuellement pour des images, c’est gérable. Mais si on commence à balancer des photos haute-résolution en grande quantité, du son ou de la vidéo – sans parler de logiciels – ça devient vite très compliqué. Il faut souvent passer par des sites tiers.

Dans ces cas, je donnerais deux conseils: d’abord, choisir les solutions les moins chiantes avec les conditions d’utilisation. Sur ce point, je conseillerais de, sinon adhérer, tout au moins garder un œil sur les solutions venues du “Fediverse”: Mastodon, Diaspora*, Peertube et autres outils basés sur le protocole ActivityPub, qui permettent de mettre en place des systèmes décentralisés qui se parlent entre eux.

Ensuite, ne pas leur faire une confiance aveugle, quelle que soit la solution choisie. Un truc bête: gardez toujours une copie de ce que vous mettez en ligne. Un service en ligne n’est pas un backup (à part peut-être les services de backup en ligne, mais c’est un autre sujet).

Réinvestir les anciens lieux

Dit comme ça, ça fait un peu “quête med-fan”. Ce n’est pas entièrement faux. L’idée, c’est qu’il vaut mieux causer à des gens potentiellement intéressés plutôt que d’y aller à la lance d’arrosage. Et, pour cela, il faut aller là où il y a des fans potentiels.

Je ne sais pas si les groupes sur Facebook ont le même problème que les pages – dans le doute, je dirais que oui. Du coup, je conseillerais plutôt de viser les forums. Oui, les bons vieux forums à base de phpBB et autres logiciels abscons qui fleurent bon le vingtième siècle.

Un autre endroit à considérer, ce sont les blogs. Ou les sites des autres, mais je parle de blogs parce qu’une de leurs caractéristiques, c’est de permettre des commentaires. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à faire des liens avec des articles qui parlent du même sujet – comme c’est souvent la pratique parmi les chroniqueurs des littératures de l’imaginaire – et d’aller commenter.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore cette technologie, je conseille fortement de s’intéresser de près aux flux RSS. Ça permet de centraliser sa propre veille, suivre les blogs et les sites intéressants – et même les commentaires.

Si on a du temps, on peut aussi créer une liste de diffusion par courrier électronique (mailing-list). Un truc simple peut se contenter de recracher les articles de la semaine, mais pour le faire bien, c’est du boulot.

Je suppose qu’il doit exister aussi des communautés sur des sites comme Reddit ou sur un service comme Discord, mais j’avoue n’avoir qu’une expérience très limitée sur ce sujet. Cela dit, si quelqu’un qui s’y connaît veut faire un topo, il ou elle est bienvenu.

Ça va être long, ça va être chiant…

Alors oui, c’est du boulot. Beaucoup de boulot, même. Rien que pour convaincre votre public de faire comme vous l’entendez, ça va être sport. Et puis la plupart des idées que je mentionne sont difficilement automatisables. Et le temps pris à bosser là-dessus, c’est tout ça en moins pour bosser sur ses créations.

J’entends bien. L’idée, c’est aussi de reprendre le contrôle de sa vie numérique et, d’une certaine manière, de tenter de se mettre à l’abri des multiples tempêtes de merde en approche – directives copyright de l’Union européenne et de bien d’autres, scandales à répétition chez Facebook, Google qui flingue des services au hasard, parce que raisons, etc.

Certes, il y a l’approche Ploum – qui a déconnecte un grand coup – mais c’est un peu extrême à mon avis. Surtout si le but est de faire connaître ses œuvres (Deuxième loi de Doctorow: “La célébrité ne vous rendra pas riche, mais vous ne pouvez pas être payé sans elle”).

Cela dit, la clé est sans doute d’avoir une communication plus ciblée: parler à des vrais fans plutôt qu’à une foule à moitié intéressée. Communiquer moins, mais mieux. Dit comme ça, ça fait slogan de cadre dynamique, mais il y a peut-être un fond de vrai là-dedans. Allez savoir!

(Photo: Oasis de Huacachina, Charles Gadbois via Wikimedia Commons sous licence Creative Commons)

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26 réflexions au sujet de “Demain, mon oasis: créer et exister sans Facebook?”

  1. Je te donne un point internet pour avoir mentionné les flux RSS, le futur d’internet (qui n’est pas encore advenu, qui a peut-être raté sa chance, mais dans une ligne temporelle alternative, les flux RSS dominent le monde).
    Courage dans ta recherche – il faut à la fois être là où les gens sont, sans pour autant être dépendants de la plateforme qu’ils utilisent.
    Une quadrature du -net- cercle, en quelque sorte.

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    • Merci, mais je dois avouer que, de mon côté, le plus gros est déjà fait: j’ai un site qui héberge la plupart de mes créations. Après, si j’étais malin, je rationaliserais un peu tout ce bazar. Ce sera peut-être quelque chose sur lequel je vais bosser pendant la pause de fin d’année.

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  2. Je pense qu’une voie à explorer, c’est quelque chose qui marche très bien dans les milieux du comic strip ou du hip-hop: le featuring. Tu ouvres ton blog à un auteur ou un artiste que tu aimes bien, et tu lui donnes carte blanche pour faire son truc. De cette manière, les publics se mélangent, les curiosités se propagent, et tout le monde en profite, à commencer par les lecteurs.

    En fait, ça revient à réinventer les réseaux sociaux, mais sur une base plus saine.

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      • C’est pourtant exactement ce que tu as fait quand tu as invité Delfino, et je pense que tu dois avoir des amateurs de Tigres Volants qui pourraient faire un papier chez toi à l’occasion.

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        • Ah oui, un article-invité. Mais c’est un peu différent, je crois. Dans le cas de Sébastien, je lui ai proposé de republier un billet qu’il avait écrit sur Facebook et qui répondait à une polémique au centre de laquelle je m’étais retrouvé.

          Et puis je ne considère pas mon blog comme le cœur de mon activité (même si, objectivement, c’est sans doute ce sur quoi je passe le plus de temps au total).

          Ça serait différent si j’invitais d’autres auteurs à écrire des nouvelles dans l’univers d’Erdorin.

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          • Merci pour la citation, et pour l’article qui est intéressant.

            Faire du mieux plutôt que de la croissance est une bonne piste. Personnellement je ne conquiers plus de nouveau public depuis au moins 2 ans, mais je me rend beaucoup plus compte des gens qui me lisent. J’en ai rencontré plusieurs, on a papoté, bu des coups, joué ensemble etc. Le web fait miroiter des chiffres déments mais c’est aussi de la poudre aux yeux. Ce qu’on écrit n’intéressera jamais 50 000 personnes.

            Le corollaire est aussi qu’on arrivera jamais à en vivre par ce biais. De toute façon, le seul moyen serait de faire de la pub ou du contenu “sponsorisé” ce qui est pire selon moi. Par contre on construira peut-être une communauté plus active, plus riche, plus intéressante pour toutes et tous.

            Malheureusement, il est vrai aussi que beaucoup de monde réduit – et réduira – sa “consommation” de web aux seuls réseaux. Et, sollicités de toutes part par d’autres trucs, ne trouveront peut-être plus jamais les “déconnectés” ou “connectés différemment”. Car il y a déjà trop de trucs intéressants qui passent à longueur de journée sur ces plateformes pour occuper des années entières, pourquoi s’emmerder à chercher en plus ce qui se trouve difficilement, loin des premières pages de Google Search, loin de sa timeline Facebook, loin des yeux donc.

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      • Je me porte volontaire pour écrire une chronique “façon Alias” d’un album prog-métal que je n’aurai préalablement pas écouté.

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  3. Est-ce que la conclusion n’est pas décalée par rapport à ton ressenti sur les vidéos que tu fais ? (j’ai que mes copains qui me parlent)

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  4. Merci pour cette réflexion intéressante. C’est effectivement un dilemme que d’échapper à ces plateformes tout en essayant de faire connaître malgré tout son activité. Les bonnes vieilles rencontres physiques restent un bon moyen de passer le message…

    Et, au fait, qu’est-ce que tu utilises pour collecter les flux RRS?

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    • Pour les flux RSS, je suis sur Newsblur, qui est sur une base open-source, qui a des outils de partage et qui, s’il est payant, a un tarif très raisonnable (genre $10 par an).

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  5. Je plussois à 100% ton analyse ! Pour la question des réseaux décentralisés, j’ai essayé Mastodon et ça demande pas mal de temps de maintenance (NodeJS et PostgreSQL… moi, ça reste toujours pas ma came ça 😀 ), il faut effectivement jouer de plus en plus sur les outils “oubliés” du net : les listes de diffusions, les RSS… Le RGPD aussi est un enjeux pour se passer des outils centralisés hors-UE, je compte dégager Disqus sous peu (mais là, je m’inquiète pour les commentaires), j’ai déjà viré depuis 5 ans Google Analytics (remplacé par Matomo, l’ex “Piwik”).

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  6. Euh Alias…
    Je veux pas avoir l’air de dire du mal, mais tu réinventes un peu l’eau tiède là, non ?

    Les méthodes que tu préconises ne sont pas très différentes de à peu près tout ce que je lis depuis 8 ans quand je me suis mis à faire du blogging sérieusement.

    En gros… 🙂

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    • Oui, sans doute; si j’étais original, je pense que ça se saurait.

      Cela dit, huit ans, en années web, c’est limite trois générations. Depuis, il y a eu l’ascension de Facebook et des autres réseaux sociaux, ascension qui désormais s’essouffle, voire retombe. Le “vieux” blog revient peut-être en force, qui sait?

      Cela dit, si tu as plus radical, je veux bien des références, mais à part la “méthode Ploum” que je cite à la fin, je ne vois pas trop.

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      • Attention, je ne dis pas “il y a 8 ans” mais “depuis 8 ans.”
        En gros, ton contenu, celui qui compte tu le mets sur ton blog et uniquement ton blog. Les réseaux sociaux ne servent qu’à un truc : emmener les gens vers ton blog.

        Ça évite de se focaliser trop sur un réseau social, d’être à la merci des changements d’algorithme etc.

        Et accessoirement, tu te crées une “marque” qui survit aux aléas des évolutions du web et tu peux passer plus facilement d’un réseau à l’autre si besoin est, etc.

        Par exemple, en ce moment, tout le monde pousse des cris d’offraies envers les page FB, mais si on en est pas dépendant, ça ne pose aucun problème. 😉

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  7. Ca fait quand même un moment qu’on le dit, les RSS, les forums, les backlinks, le réseautage de blog par affinité…Mais avec des réseaux sociaux qui lassent, ça commence à reprendre.
    Pour la petite histoire, j’ai des gens qui tapent des compte-rendus de réunion sur… Excel. c’est illisible, incompréhensible mais ils sont contents.
    Après avoir définitivement supprimé les automatisations vers tous ces réseaux sociaux, j’avoue que je m’en porte pas trop mal. Trafic qui augmente de 30 à 40% en un an. Mais surtout ça permet de se concentrer sur le contenu

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    • Oui, ça fait très longtemps qu’on le dit, mais jusqu’à récemment, le côté pratique de Facebook contrebalançait largement les éventuelles craintes.

      Aujourd’hui, il est devenu beaucoup plus évident que Facebook est juste une machine à fric parmi tant d’autres.

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  8. En effet, ce que tu dis n’est pas révolutionnaire, mais ça fait du bien de faire le point… En tout cas, ça colle exactement à ce qui me travaille depuis un mois, et j’ai le même projet pour 2019. Donc, je crois qu’il y a une conjoncture qui rend ton billet très actuel et nécessaire, à un certain égard.

    En fait, par rapport à ce que dit David, il a raison, mais je crois qu’il a omis le fait que ce billet s’adresse aux “créateurs”. Et, pour ces gens-là, le message est peut-être nouveau.

    Je suis en pleine ébullition en ce moment autour du marketing, et ça me sidère à quel point des trucs de base pour les blogueurs et les gens en marketing numérique sont encore inconnus de la plupart des écrivains littéraires (moi y compris)… C’est un autre monde. Ton rêve est d’écrire, tu te retrouves à t’autoéditer pour X raisons, ça ne veut pas dire que tu as la moindre idée de ce que signifie un backlink ou la “lead generation”. T’es loin de te soucier de ton taux de conversion, et il y a des chances que tu ne trackes rien… C’est pour ça qu’à ces conditions, à mon avis, il vaut mieux ne rien faire du tout (en termes de promo, on perd son temps).

    Si tu veux faire quelque chose, c’est en effet beaucoup de boulot… Mais, en ce moment, je suis motivée à fond. Et oui, il ne faut pas oublier de penser à des trucs collectifs, collaboratifs. Il faut que les oasis s’entraident; c’est peut-être la seule façon de survivre face à des quasi-monopoles.

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  9. Hello ! Exactement comme ça que je vois la chose ^^ Perso, je ne poste que sur mon serveur, et ensuite redirige depuis Mastodon. Rien de plus.

    Et les flux RSS, bon sang, c’est incroyable que ce ne soit pas répandu au grand public quand on voit à quel point c’est pratique. Je m’en sers même pour suivre les chaînes youtube sans compte google…

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