Esclave ou vagabond: l’auto-édition en jeu de rôle

Voici le texte de mon intervention lors de l’Atelier de création de jeux de rôles, organisé par Oliver Vulliamy, collègue coopérateur de 2 dés sans faces, lors de la dernière convention Orc’idée. C’est à peu près reconstitué d’après des notes écrites à l’arrache, quelque peu augmenté de choses dites et discutées, le tout remis dans un ordre presque cohérent.

Par contre, je suppose que je dois y raconter pas mal de choses que j’ai déjà dites ailleurs. Que voulez-vous, c’est ça, avec les vieux: ça radote.

Bonjour, je suis Stéphane “Alias” Gallay et je suis devenu riche et célèbre grâce au jeu de rôle.

Non, je déconne.

En vrai, si vous voulez devenir un vrai auteur de jeu de rôles, mon premier conseil est simple: n’abandonnez pas votre boulot. Le plus sûr moyen d’avoir une petite fortune grâce au jeu de rôle, c’est de commencer avec une grosse fortune.

Mais le sujet principal de cette intervention est l’auto-édition face à l’édition “professionnelle”. En d’autres termes, la vraie question, c’est : voulez-vous tout décider tout seul, ou être aidé. Au cœur de cette interrogation, il y a toute la question de l’implication dans la distribution et la promotion.

Éditeur: auto ou pas?

Je commencerai par une citation de l’auteur britannique Cory Doctorow; c’est même une de ses “lois”: “On ne devient pas riche en étant célèbre, mais on ne peut pas gagner de l’argent sans être célèbre.” Gardez cela à l’esprit, c’est important.

Techniquement, de nos jours, un auteur peut très bien écrire et publier son jeu tout seul. Internet – et tous les services que l’on y trouve – est un excellent outil d’auto-distribution et de promotion, mais il ne faut pas s’y tromper: cela demande beaucoup d’implication.

Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton et d’aller dormir pour voir affluer les ventes: il faut de la présence, il faut démarcher, expliquer; relancer la machine, quand l’attention retombe. Et, une fois le produit terminé, gérer la logistique, la comptabilité, etc.

En théorie, passer par un éditeur, c’est laisser à celui-ci la gestion des choses pénibles: la promotion, la distribution. C’est aussi l’assurance que ce dernier va arriver à “toucher” plus de monde, notamment via un distributeur spécialisé qui pourra faire en sorte que votre produit sera dans les boutiques.

L’éditeur va vous poser plein de contraintes: il va vous poser des questions auxquelles vous n’aviez jamais pensé, vous demander de virer vos parties préférées de votre bouquin, recouvrir ce qui reste d’encre rouge et vous imposer des illustrateurs que vous n’aimez pas. Mais c’est quelqu’un qui sait de quoi il parle et, surtout, qui sait comment on vend un jeu.

(On m’objectera que ce n’est pas vrai pour tous les éditeurs. Disons que c’est ce qu’est censé faire un vrai éditeur, un qui connait son boulot.)

Conventions

Un mot sur les conventions: ce sont des événements très intéressants, où on peut toucher directement beaucoup de monde, entre le stand et les parties de démonstration. C’est donc important, surtout quand on est auto-édité: un contact direct – surtout s’il est bon – est bien plus intéressant que quelques échanges par Internet. C’est aussi l’occasion de vendre sans avoir à payer le distributeur, ce qui est toujours bon à prendre.

Le défaut c’est que ça coûte cher. En vous y prenant tôt, vous pouvez espérer ne payer qu’une centaine d’euros pour le voyage, plus le prix du logement (environ €50 par nuit d’hôtel, moins si on peut faire un plan canapé chez un pote ou un fan) et celui des repas. Ça peut facilement faire un week-end à €250, plus le prix du stand, s’il y a lieu. Certaines conventions peuvent rembourser tout ou partie des frais, mais ne comptez pas trop là-dessus avant d’être un peu connu.

C’est aussi fatiguant: déjà, vous allez rester pendant une bonne vingtaine d’heures debout, à expliquer votre concept aux passants qui passent. Premier conseil: prévoyez un “elevator pitch”, une explication de ce qu’est votre jeu en deux ou trois phrases simples et une dizaine de secondes. Bonus si vous pouvez aussi expliquer ce qu’est un jeu de rôle dans la foulée.

Avantage d’une telle explication: c’est aussi la meilleure façon de présenter votre jeu à un éditeur potentiel, qui n’a pas forcément envie de se taper 200 pages de règles.

Autre facteur de fatigue: pour peu que les joueurs soient au rendez-vous, vous allez enchaîner les parties de démo. Deuxième conseil: prévoyez des parties courtes, de 1-2 heures, qui puisse se jouer comme des « bandes annonces » pour le jeu. C’est moins fatiguant, même si on en fait plus. Les prétirés sont indispensables pour ce genre d’exercice.

Financement participatif

Quelques mots, pour terminer, sur la question du financement participatif. On en parle beaucoup, parfois pour dire à quel point ça révolutionne l’édition de jeux de rôles, parfois aussi pour râler sur des pratiques très limites. C’est vrai dans les deux cas.

Disons les choses ainsi: le financement participatif est un outil très intéressant pour les éditeurs de toute taille. Il permet de financer des projets qui, avec des moyens traditionnels, n’auraient eu aucune chance de voir le jour. Mais, comme tout outil, il faut savoir comment il fonctionne, ce qu’il faut faire et ne pas faire.

Surtout, le financement participatif demande de l’investissement; comme tout ce qui se fait sur les réseaux sociaux, ce n’est pas du « tire et oublie »: il faut prévoir. D’une part, il faut planifier le projet: prévoir des paliers et des objectifs supplémentaires, bien régler son budget (pensez à la marge du site de financement), y compris avec les potentiels gadgets des paliers.

Par exemple, éviter de proposer des portraits de PNJ quand plus de 50% des PNJ en question sont féminins et plus de 50% du public-cible est masculin. C’est du vécu.

D’autre part, il faut beaucoup communiquer pendant la campagne. Relancer la machine, en garder un peu sous le coude, prévoir des visuels, possiblement même une vidéo (courte); ce qui signifie d’ailleurs qu’il vaut mieux lancer un financement participatif quand le projet est suffisamment avancé pour avoir des choses à montrer.

N’oubliez pas que la participation à un financement suit une courbe de Gauss inversée: beaucoup au début et à la fin, moins au milieu. Faites néanmoins attention à ne pas fatiguer vos lecteurs: personne n’aime les spammeurs.

Enfin, ne pas négliger la question des délais et de la logistique. La plupart des histoires horrifiques que vous pourrez lire et entendre sur des financements participatifs qui partent en vrille concernent des délais non tenus.

N’hésitez pas à continuer à communiquer après que le financement soit bouclé pour tenir les participants informés de l’avancement du projet, surtout en cas de problèmes imprévus. Rater une date de sortie, ça arrive; ne pas en informer ses clients, c’est Mal.

N’oubliez pas non plus qu’en auto-édition, vous avez peu de chance d’être distribués en boutiques. Si votre budget le permet, essayez de prévoir, dans les paliers, une option “boutique” permettant d’obtenir cinq ou dix exemplaires de votre jeu (plus un visuel) à un prix réduit lui permettant de se faire une marge.

Conclusion

Aujourd’hui, il est devenu de plus en plus facile de s’auto-éditer: Internet est une plateforme d’édition quasi-gratuite et qui offre une foule d’outils pour rédiger, mettre en forme, publier, promouvoir, financer et distribuer un projet.

Mais, d’une part, tout outil demande que l’on sache s’en servir; apprenez à connaître vos outils pour en tirer le meilleur.

Et, d’autre part, même si l’auto-édition est une aventure formidable, les éditeurs professionnels ont un rôle très important si on veut « monter de niveau » dans ce milieu. Leur avis, leur expérience n’est pas à négliger.

Dans le milieu du jeu de rôles, aucun des auteurs n’est véritablement un esclave, à la merci des idées idiotes d’éditeurs peu scrupuleux, et aucun non plus n’est un pur vagabond, bricolant ses textes expérimentaux en atmosphère contrôlés.

Nous avons de la chance de faire partie d’un milieu de passionnés, dont certains d’entre nous ont fait leur métier – ou peu s’en faut. Il y a donc toujours moyen de discuter, de négocier, d’échanger. Ça implique aussi de garder l’esprit ouvert, d’un côté comme de l’autre: on a (presque) tous commencé avec un clone de D&D et on a tous eu des samedis après-midi qui ressemblaient à un lundi matin sans café.

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11 réflexions au sujet de “Esclave ou vagabond: l’auto-édition en jeu de rôle”

  1. Résumé… c’est un gros boulot, de fou, qui demande un énorme investissement de temps, et très vite financier, et qui pardonne aucun amateurisme, même quand on le fait en amateur, dès lors qu’on décide d’aller au bout du projet : éditer son JDR. Je prends les claques et les leçons au fur à mesure que j’avance, et cependant, je ne le fais pas sans conseils ni plan prévisionnel et pourtant j’en suis qu’aux débuts. Faut s’accrocher, faut pas négliger critiques, commentaires, suggestions, et plus important que tout, faut vraiment trouver à communiquer, et rapidement former une petite équipe pour déléguer des tâches. Bref, c’est un projet dont l’auteur devient le chef, et qu’il doit gérer comme un chef de projet. Quand on a mon caractère de chiotte entartrée, on prends vite les leçons que va falloir apprendre à composer et négocier… du coup, la diplomatie devient aussi importante que la communication, elle en fait intimement partie, comme de l’organisation et de la planification, et sur le sujet diplomatie, j’en prends aussi des leçons, qui vont sans doutes amener à désigner un ami nettement plus diplomate que moi à devenir community manager, par exemple.

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    • Au niveau “gestion de communauté” et réseaux sociaux, je suis de l’école que les gens ont envie d’entendre des vraies personnes, pas du communiqué de presse formaté.

      Après, je dirais qu’on peut rester soi-même et gagner en diplomatie juste en évitant de répondre à chaud et à partir du principe de l’intention bienveillante, jusqu’à preuve du contraire.

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  2. Je ne crois pas en l’intention bienveillante, mais à son contraire, par contre, BBS, l’ami en question, est plutot du genre à y croire, et je crois que participer à Loss de cet aspect là le passionne.
    Après, je réapprends à essayer de considérer que diplomatie n’est pas un gros mot. C’est rude, mais ça vient.

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  3. Il me semble que dans le milieu rôlistique suisse romand en tout cas tu es célèbre. Peut-être que la fortune n’est plus très loin 😛

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  4. Bonjour,

    Je sais que votre article date, mais j’aurais une petite question.

    En effet, j’ai beau cherché (après, peut-être que je m’y suis mal prise), mais je trouve de quoi imprimer nos propres livres, plateaux de jeu, cartes, jetons… mais impossible de trouver où pouvoir faire imprimer des écrans de MJ (avec si possible, différentes qualité/options).

    Que conseilleriez-vous ?

    En effet, j’ai conscience de l’importance de soigner les détails et le rendu de l’écran du MJ, à mon sens, en fait grandement partie.

    Merci d’avance

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    • Hello et bienvenue sur le blog!

      Les écrans de MJ, c’est le truc le plus difficile, parce ce n’est pas vraiment quelque chose de standard – par comparaison avec un livre ou un magazine, par exemple. À ma connaissance, il n’existe pas de fabrication en ligne, c’est tout du “à la demande” et c’est très cher à la fabrication, en fait; en général, les écrans, c’est le truc que les éditeurs font parce que les joueurs le demandent, pas parce que c’est rentable.

      Une solution serait de proposer des versions pour les écrans “réutilisables”, ou éventuellement voir avec les fabricants de menus pour restaurants.

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