Importance critique

Hier soir, je suis tombé sur un article du blog Some Space to Think, écrit par un auteur de jeu américain du nom de Rob Donoghue, intitulé The Critical Audience. Cet article m’a interpelé à cause d’une citation dans le troisième paragraphe, que je vous traduis à la louche:

(…) J’ai récemment été bombardé par des exemples de la manière catastrophique par laquelle notre hobby gère les critiques argumentées, mais négatives. Cela me frustre particulièrement, parce qu’une critique argumentée venant d’un client mécontent est quelque chose qui a beaucoup de valeur à mes yeux. C’est vraiment malheureux que la seule chose qui ressortent de telles critiques soit  un tabassage en règle sur Internet.

Ça vous rappelle quelque chose? Moi aussi. Mais l’intérêt de l’article n’est pas là. Enfin, pas seulement.

C’est la question suivante qui est beaucoup plus intéressante: la critique est-elle écrite pour l’artiste ou pour son public? Avec une première conclusion: si ça n’est pas immédiatement clair, c’est une porte ouverte à une mésentente majeure et, dans la plupart des cas, au désastre. Bien évidemment, les choses ne sont jamais simples et je vous invite à lire le reste de l’article de Rob, que vous soyez artiste, critique ou même simplement fan de base. Je suis plutôt d’accord avec son analyse du phénomène.

J’y rajouterai le gros problème du milieu du jeu de rôle, particulièrement en Francophonie: c’est un très petit milieu, passablement incestueux (des gens plus optimistes peuvent aussi dire “avec un maillage très resserré”) et où les frontières entre auteurs et chroniqueurs sont loin d’être clairement marquées. C’est une des forces créatrices, mais aussi un problème: qu’un auteur critique le jeu d’un petit camarade et le soupçon du conflit d’intérêt pointe le bout de son mufle.

Je ne crois pas qu’il y ait des solutions faciles. On peut arrêter de critiquer pour éviter de se fâcher avec qui que ce soit – ou alors faire des critiques de Bisounours, façon “École des Fans”. On peut aussi être des adultes et des professionnels, mentionner clairement qui on est et ce qu’on fait et critiquer de façon ouverte et transparente. Le problème est qu’aucune de ces solutions ne fonctionnent réellement; j’aimerais bien que la troisième soit la bonne, mais j’ai de gros doutes sur son application pratique.

Mon avis est que, d’une part, le jeu de rôle est un média particulier en ce qu’à peu près tout le monde y est auteur. Qui plus est, Internet amplifie le phénomène en faisant des auteurs des éditeurs potentiels. Tous auteurs, tous éditeurs; la méthode classique ne va pas fonctionner – pas longtemps et pas bien, en tous cas.

Je ne peux donc que conseiller à tout ce petit monde d’adopter une approche moins viscérale: rendre une œuvre publique (“publier” veut bien dire cela), cela signifie abandonner une partie du contrôle qu’on a dessus – il cesse d’être “mon jeu”. Toute proportion gardée, c’est comme un enfant qui quitte la maison pour s’installer ailleurs. En plus de ça, Internet est un lieu à troll – à porno, surtout, mais ce n’est pas le sujet– et ce n’est pas en se couvrant les yeux et les oreilles en chantonnant “la la la!” qu’on va y changer quoi que ce soit.

Je sais qu’il y a des gens qui tentent de vivre du jeu de rôle et pour qui une critique négative peut équivaloir à une perte de revenu sur un produit qui n’est déjà pas des plus rentables à la base. Mais je crois que Rob souligne bien le problème qu’il y a à limiter les critiques: je ne connaissais pas l’expression “symptôme des perches du Nil” (Nile perch solution), mais c’est une bonne image pour une solution à court terme qui s’avère plus dangereuse que le problème à long terme.

(“What’s important”, photo de Valerie Everett via Flickr, sous licence Creative Commons, partage dans les mêmes conditions.)

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5 réflexions au sujet de “Importance critique”

  1. Je n’ai rien de constructif à ajouter,
    mais je ne peux m’empêcher de dire que je suis lourdement d’accord.

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  2. Je croyais que le label CGG avait été créé pour palier à ça… Je me demande donc si tu n’a pas écris cet article pour mettre les mots «troll» et «porno» dans le même paragraphe pour monter ton nombre de visites et ainsi promouvoir ton jeu indirectement!

    Comme quoi la mauvaise foi critique n’est pas l’apanage exclusif des auteurs…CQFD

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      • C’est donc pour vndre du Lupanar.. J’était sûr qu’il y avait anguille sous gravillon… Avec les auteurs de JdR c’est jamais très franc du collier! ;-P

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  3. Je suis assez d’accord avec les différents point soulevés, je pense que la situation est rendue encore plus confuse du point de vue qu’il y a deux niveaux d’audience dans le jeu de rôle, les MJs, et indirectement les joueurs. Un jeu peut être bon pour un MJ (bien structuré, bonne prise en main), mais mauvais pour les joueurs (univers dirigiste, manque de liberté), et vice-versa.

    Comme des faiblesses au niveau MJ peuvent toujours être compensées par les compétences du MJ, critique ce niveau d’un jeu revient à critiquer indirectement le niveau du MJ, j’ai l’impression que ce problème de cible de la critique est dupliqué.

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