“La Trilogie de la Lune”, de Johan Heliot

Vous vous souvenez peut-être que j’avais chroniqué, il y a quelques mois, La Lune n’est pas pour nous, de Johan Heliot, remarquant au passage que c’était le volume central de la “Trilogie de la Lune“. J’ai fini par acquérir l’énorme pavé que constitue l’omnibus de cette trilogie uchronique qui débute par l’arrivée d’extra-terrestres à la fin du XIXe siècle.

Techniquement, l’uchronie commence avec la victoire française lors de la guerre de 1870 et ses conséquences: un Napoléon III rendu fou par la mort de sa femme et de son fils et qui ne parvient à survivre que grâce à la technologie des Ishkiss, un civilisation extra-terrestre apparue au-dessus de Paris pendant l’Exposition universelle de 1889.

La France domine l’Europe, grâce à la biotechnologie extra-terrestre allié au génie mécanique terrien, et a construit une base sur la Lune. Seuls une poignée d’hommes et de femmes tentent encore de lutter contre l’hégémonie dictatoriale de Napoléon, comme Victor Hugo, Louise Michel ou Jules Vernes, héros du premier tome, La Lune seule le sait.

Ce premier tome est du pur steampunk, dans son acceptation “cyberpunkienne”: haute-technologie et bas-fonds. Le contraste entre la haute société bourgeoise et les forçats de la Lune est saisissant et le récit de la lutte des derniers esprits éclairés, tentant de convaincre les extra-terrestres – une civilisation mourante qui voit dans la technologie terrienne son ultime planche de salut – de la folie d’une alliance avec Napoléon est passionnant.

Au niveau style, l’usage de pseudonymes pour certains des personnages de la série – “Badinguet” pour Napoléon III, “Babiroussa” pour Victor Hugo – m’a désarçonné. C’est quasiment systématique, sauf quand ça ne l’est pas, et jamais vraiment justifié ou expliqué. Si ma phrase ne fait pas sens, c’est parce que je n’en vois pas non plus à cette figure de style.

Pour ce qui est de la deuxième partie, je vous renvoie à ma chronique de La Lune n’est pas pour nous. Au reste, je ne l’ai pas relu.

La troisième, La Lune vous salue bien, se déroule dans les années 1950 aux États-Unis. On y apprend que les USA ont fini par débarquer en Europe peu après les évènements du tome précédent pour y mettre fin aux régimes fascistes – et en ont profité pour embarquer les monuments que les Allemands avaient piqué aux Français.

C’est donc dans une Amérique encore sous le choc de l’assassinat du président Eisenhower à Dallas par un jeune employé du nom d’Elvis Presley que débarque Boris Vian, héros-narrateur de ce volume et agent (“assassin” serait plus juste) des Services secrets français. Son objectif: découvrir les plans des vrais maîtres de l’Amérique, “L’Oncle” Walt Disney et “Capitaine Bob” Heinlein.

En un paragraphe, je vous ai annoncé ce qui est à la fois le principal intérêt de l’ouvrage et son défaut majeur: l’auteur s’amuse énormément avec la grande et la petite Histoire, détourne des biographies, lance des clin d’œils pas toujours très clairs et, de façon générale, embarque le lecteur dans l’équivalent littéraire de montagnes russes pour Disneyland.

Comme on dit, la dose fait le poison et, dans le cas présent, j’ai l’impression que Johan Heliot a un peu trop forcé sur la marchandise. J’ai frisé l’écœurement. Ce d’autant plus que s’ajoute un autre tic d’écriture agaçant: la francisation quasi-systématique des termes anglais par le narrateur. Là encore, c’est une question de dosage: on sourit au premier, mais au bout du vingtième, on fatigue.

D’un point de vue plus général, la trilogie montre quelque peu les limites d’une narration uchronique qui fait intervenir dès le départ les chauves-souris extra-terrestres de l’espace chères au forum Alternate History – quasi-littéralement, d’ailleurs. Plus on avance dans le temps, plus il devient difficile de garder une chronologie un tant soit peu crédible.

Disons les choses ainsi: la Trilogie de la Lune est une fantaisie uchronique. En soi, elle représente une lecture plutôt plaisante, dans son ensemble, et truffée d’idées très amusantes pour les amateurs du genre. Sur la longueur, elle est cependant parfois indigeste. On notera également l’apparence soignée de cette intégrale, dont la couverture est un pastiche plutôt réussi des Aventures extraordinaires de Jules Vernes.

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