Les auteurs de science-fiction contemporains ont-ils peur de l’avenir?

Et boum! Encore un (semi) pavé signé Charles Stross que cet essai intitulé SF, big ideas, ideology: what is to be done? et résumé par Warren Ellis en “Charles Stross tabasse la SF avec un bâton merdeux”. Merci, Warren…

Comme c’est quand même assez long et en anglais, certes accessible, je vous la fais courte: Stross explore la proposition que la science-fiction est un genre littéraire – voire le genre littéraire – des grandes idées et que certains de ses auteurs sont une inspiration pour la prochaine génération de génies.

Vous vous en doutez, sa réponse est contrastée – et plutôt brutale: si on a pu percevoir un temps la SF comme un genre progressiste (sinon à “grandes idées), à son avis, aucun des concepts apportés par la science-fiction ces trente dernières années n’est à la hauteur de ce qu’était la “hard SF” des années 1940-1960. Pire: ceux des auteurs qu’il perçoit comme les plus authentiquement innovants semblent ignorés par la critique.

Là où son analyse devient réellement intéressante (hormis quelques expressions, comme “What we call “hard SF” today mostly isn’t hard, and isn’t SF: it’s fantasy with nanotech replicators instead of pixie dust and spaceships instead of dragons.”), c’est quand il se penche sur les causes d’un tel déclin. Pour résumer une fois encore, le problème est que les auteurs ne semblent pas s’être rendus compte qu’en ce début de XXIe siècle, la plupart des concepts futuristes auxquels ils se rattachent sont déjà dépassés. La phrase-clé étant:

We people of the SF-reading ghetto have stumbled blinking into the future, and our dirty little secret is that we don’t much like it.

“Nous autres du ghetto des lecteurs de SF déboulons tout étonnés dans l’avenir – et notre secret honteux est que nous ne l’aimons pas vraiment.” Ouch.

“Ouch”, parce que c’est un peu vrai. Enfin, je dirais plutôt que, vu du haut de mes prétentions d’auteur de SF (qui sont déjà bien plus élevées que mon talent réel, sans même parler du succès), il a raison. J’ai l’impression que la plus grande partie de la science-fiction que nous consommons est héritière en droite ligne des textes des années 1970-1980, mais pas vraiment des méthodes de l’époque.

On prend une certaine idée de l’avenir qui a maintenant trente ans de retard et on extrapole dessus avec plus ou moins de bonheur. Les rôlistes se rappelleront de certains jeux de SF (le mien y compris) d’il y a vingt ans dont les ordinateurs de bord des vaisseaux spatiaux avaient la puissance de calcul d’un smartphone contemporain. L’exemple est anecdotique, mais assez révélateur.

Et le pire, conclut Stross, c’est que si les auteurs de science-fiction s’essayaient vraiment à reprendre la méthodologie de l’époque, il y a bien des chances pour que plus personne ne les lisent.

(Image par Bill Randall via James Vaughan sous licence Creative Commons non-commerciale share-alike)

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19 réflexions au sujet de “Les auteurs de science-fiction contemporains ont-ils peur de l’avenir?”

  1. J’aimerais avoir le temps de lire le truc en entier, mais je pense que le “problème” c’est que la SF a toujours été ancrée dans un contexte social particulier.
    La fin du 19e siècle (avec le futurisme, le positivisme et le reste) et le 20e siècle ont toujours eu cette foi et cet espoir dans l’avenir (mis à mal par les guerres mondiales, mais revitalisé par la conquête de l’espace et le fantasme de l’an 2000.
    Au 21e siècle, il ne reste plus rien de tout cela. L’an 3000 c’est trop loin, l’an 2100 on s’en fout, la conquête de l’espace n’existe plus (et la mise au garage des navettes spatiales sans trop rien pour les remplacer du côté de la NASA ne va pas arranger les choses), l’avenir qui approche est sombre quel que soit l’angle sous lequel on le regarde, l’avènement des geeks a fait de la technologie non plus le grand moteur de l’humanité mais simplement une série de gadgets plus ou moins inutiles mais que tout le monde veut posséder.
    Bref, peut-être que tout simplement, la science-fiction n’a plus sa place en ce début de 21e siècle.

    Sinon c’est quoi ton problème avec cette phrase :
    « What we call « hard SF » today mostly isn’t hard, and isn’t SF: it’s fantasy with nanotech replicators instead of pixie dust and spaceships instead of dragons. » ?

    Je la trouve très vraie, une grosse majorité de ce qui est labélisé SF de nos jours n’en est pas, mais est bel et bien de la fantasy.

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      • Au temps pour moi, je pensais que c’était l’autre partie de la citation qui te posait problème (qu’une bonne partie de ce que l'”on” appelle SF est en réalité de la fantasy avec des vaisseaux spatiaux et le reste – l’exemple le plus célèbre étant bien entendu Star Wars)

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  2. Intéressant tout ça, dans la même idée on note une très forte désillusion technologique au fil des décennies.

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  3. Très bonne analyse, et j’aimerais également me pencher sur l’article complet un de ces jours.
    La vérité (que je détiens :D) c’est que nous vivons dans un futur cyberpunk excessivement déprimant, qui a ceci de terrible qu’il est à la fois très différent et très semblable à ce qui était prévu dans la SF des générations précédentes. Nous nous attendions à unes multinationales titanesques réglant nos vies ? Nous les avons. Nous avons imaginé des royaumes dorés coupés d’une majorité qui n’a même pas accès aux ressources de base, ne serait-ce qu’en eau ? Nous y vivons. Nous avions imaginé des états policiers et liberticides et la surveillance de chacun en continu par des corporations surpuissantes ? Nous y sommes.
    Mais ce que nous n’avons pas vu venir, c’est que nous serions consentants à cette aliénation qui passe par les iPhones, les iPads et toutes ces daubes qui nous sont devenues indispensables. Big brother existe bel et bien, mais il a 28 ans et un look de hipster.

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    • En surface, la situation ressemble beaucoup à du cyberpunk, où même 1984, mais en même temps la situation est beaucoup plus complexe, parce qu’il y a une grosse mutation sociale qui est en cours: un ipad, c’est beaucoup moins intéressant du point de vue philosophique ou narratif, mais socialement c’est quelque chose de beaucoup plus disruptif. Un vaisseau spatial n’est qu’une sorte de bateau ou d’avion…
      La science-fiction a toujours été le monde des idées bien nettes, une bonne base pour faire un essai philosophique ou politique, avec une préférence pour les sciences bien carrées comme la physique (et en étant sérieusement à la traîne pour tout ce qui est social). Or depuis l’apparition de l’énergie nucléaire, la physique n’a plus eu de grosse influence, ce rôle a été pris par deux sciences beaucoup moins nettes: la biologie et l’informatique.
      Comme ces deux branches sont chaotiques et profondément immiscées dans le quotidien, les théoréticiens ont été pris de cours…

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  4. mouais déjà généraliser j’aime pas trop, mais le coup de “c’était mieux avant”… il fat un peu vieil auteur car, même sans être gros lecteur de SF… on trouve de très bonnes choses après les années 60. C’est un peu comme dire sinon que tout a déjà été écrit. C’est vrai… d’un certains coté. après ce qui compte c’est l’enrichissement et la façon de raconter…

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    • On ne va pas fixer une date, genre “après 1967 (au hasard) on n’a fait que de la merde”, non plus.

      C’est bien sûr un ressenti et donc très personnel, mais j’ai quand même l’impression qu’après 1990, l’avenir a commencé à ressembler de moins en moins à ce à quoi on s’attendait à l’époque. La chute du Mur de Berlin, mais aussi l’émergence du Web, ont changé la donne de façon tellement radicale que personne ne semblait l’avoir prévu. Comme je le disais plus haut, l’avenir n’est plus ce qu’il était.

      Je veux croire que c’est une sorte de crise de croissance et qu’avec une nouvelle génération d’auteurs, peut-être moins influencé par la SF “à la papa”, nous allons avoir une SF digne du XXIe siècle.

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      • Il y a un truc bizarre quand même. On se rend compte qu’il se publie plus de space opera en Grande Bretagne qu’aux USA, toute proportion gardée. Je m’intéresse à l’actualité de la SF espagnole. Le Space opera n’a jamais cessé d’exister. Pareil en Russie.
        Le fait est que comme le disait Gabe Chouinard il y a dix ans, la voie royale de la SF ça a toujours été la science fantasy pas la hard science. Ce qui fait qu’une partie de la SF pour continuer à exister doit accepter l’étiquette fantasy. Mais le fandom n’y est pas près.
        Pour la SF américaine qui louvoie entre fable politique contestataire et SF militariste, il ne faut pas oublier l’impact d’un certain 11 septembre qui a conduit inexorablement à une image très sombre du futur.

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        • Je crois que ça dépend un peu de ce que l’on entend par “voie royale”. Il y a cinquante ans, on commençait à envoyer des hommes dans l’espace et, de ce point de vue, le space opera pouvait être perçu (toutes proportions gardées) comme une vision d’avenir plausible. Aujourd’hui, comme le dit Stross, il y a beaucoup plus de chance qu’on y envoie des robots, donc c’est un genre qui est passé brusquement de la hard-SF à la science-fantasy.

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          • Sauf que le space opera était plus le moyen de mener à bien des exploration anthropologique et ethnologique que de montrer des visions de l’avenir. La SF est plus une littérature tournée vers la philosophie que vers la technologie. La technologie est un moyen détourné de parler de l’humain, rien d’autre.
            La SF est certes une littérature d’idée (mais idée est plus à prendre comme concept qu’idéologie) mais également une littérature d’image ( le genre véhicule une imagerie, des jouets narratifs) et une littérature d’univers. Le problème c’est qu’à se focaliser plus sur les idées, on a fini par croire qu’on parlait du futur. Tout au plus explore – t – on le présent en le transfigurant. Je crois qu’en voulant n’être qu’une littérature d’idée le genre s’est tiré une balle dans le pied qui l’a mené à céder aux sirénes du post modernisme alors qu’il aurait eu tant à faire en continuant à mener ces explorations ethnologiques, anthropologiques ou philosophiques que j’évoquais précédemment.

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