Les Craypion d’or, le retour des Mud Brick Awards

En lisant l’article d’OWNI, intitulé Les Craypion d’or, le mythe du web vernaculaire (merci Krynn de l’avoir partagé sur GReader), une sorte de prix satirique pour les sites web moches – un peu comme les Gérard du ciné ou de la télé – je me suis tapé une madeleine numérique. Je me suis rappelé de l’existence des Mud Brick Awards, ou “Muddies”, qui, à ma connaissance, n’ont eu qu’une seule édition, en 1999.

Les sites primés par les Craypion d’or sont à peu près du même niveau. Certes, dix ans plus tard, la notion de graphisme web a quelque peu évolué, mais les moyens techniques pour faire des cacas d’anthologie également. C’est un peu le paradoxe d’une popularisation de ce genre de technologie: n’importe qui peut créer un site web et, en conséquence, n’importe qui crée des sites web.

Du coup, je suis un peu dubitatif par rapport à la démarche des créateurs du Craypion d’or. Mettre en lumière des pires bouses visuelles de l’Internet français (sans surprise, Désir d’avenir 1.0 remporte le prix du site de l’année), soit, mais pour en célébrer l’amateurat, mon moi graphiste intérieur intime du dedans est moins enthousiaste.

D’un côté, je peux comprendre qu’exiger l’excellence de tous les utilisateurs, surtout en matière de création, est illusoire. Quelque part, qu’il y ait des utilisateurs qui pondent des sites kitscho-moches, certes, mais avec leurs petites mains à eux (et beaucoup de clipart), c’est plutôt une bonne chose. Mais quand ce sont des sites dits “professionnels”, là je me dis qu’il y a un problème.

Je me dis que c’est un peu le symbole d’une époque qui se défie tellement de ses élites – au sens le plus large du terme – qu’elle considère tout ce qui vient d’elles comme étant automatiquement faux, malhonnête et détaché des réalités de la Vraie Vie. La frontière entre le populisme le plus crasse et une défiance légitime envers l’autorité est de plus en plus mince.

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5 réflexions au sujet de “Les Craypion d’or, le retour des Mud Brick Awards”

  1. C’est marrant, je suis plutôt d’accord avec toi sur des parties de ton analyse, mais pas sur le lien de causalité.

    Je te le concède, on assiste au retour d’un certain poujadisme (aussi bien à gauche qu’à droite), qui se défie des élites et des experts, en faveur d’un certain bon sens (yuck!). Historiquement, ça n’a jamais été de bonne augure.

    Mais pour moi l’histoire des Craypions est un peu “on the side”. D’une, je pense que cette histoire de “respect de la différence” est une vaste fumisterie. C’est exactement le distinguo entre le LOL et le LULZ, que ne fait pas l’article – dans le 1er cas je ris avec toi, dans le second cas, je ris de toi. Je crois bien qu’on est dans le second cas.

    Mon analyse, c’est tout simplement que nous sommes dans une période où plus personne ne veut payer le juste prix pour la qualité. A tous les échelons de l’économie (et à fortiori dans le secteur de la communication), on compresse les délais et les budgets, on veut donc “faire travailler plus pour dépenser moins” – avec les conséquences qu’on imagine. Et ce n’est pas le gazillon d’auto-entrepreneurs sans qualifications arrivant sur le marché comme une nuée de sauterelles qui me fera penser le contraire…

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    • Je ne crois pas qu’il y ait une causalité, plus une sorte de parenté entre ces deux façons de penser. C’est dans l’air du temps, en quelque sorte.

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  2. Un des problèmes, c’est que créer un site web c’est pas facile. Surtout pour un béotien qui essaye dans son coin avec peut de moyens, par exemple pour sa petite entreprise ou pour son association.

    Il fut un temps ou plein de gens se proposait de faire des site pour 2 francs 6 sous (et même si c’était souvent pas terrible, c’est mieux que ce que les amateurs pures font en général) mais ces gens-là on fait faillite.

    C’est peut-être une des raison des blogues: on cesse de se préoccuper du design pour se concentrer sur le contenu. Malheureusement, c’est encore peut adapté à un utilisateur complètement débutant et ne veuillent pas perdre son temps et ça finit souvent en site piratés/détournés/spamés à mort.

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  3. Je pense déjà que dans ce domaine, la notion d’expert, d’élite est assez floue. Est-ce qu’on parle des graphistes, avec leur tendance à s’agripper aux métaphores des média précédents (papier, tv), et à vouloir contrôler entièrement l’expérience. Les technologistes qui veulent faire minimal et limiter les choix graphiques a des expériences statistiques?
    À mon avis, l’expérience web est en général pourrie, et le problème n’est pas l’absence d’experts, mais plutôt le fait qu’il n’y a pas de consensus sur ce qu’est un expert, sur ce qui est juste.
    Cela dit, je suis d’accord que dire que ce prix est célébration de l’esprit passé, c’est des conneries…

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  4. Un truc qui est clair, c’est qu’on est entré dans une période où il est beaucoup plus facile de devenir professionnel autodidacte. J’en suis un exemple: j’ai beau avoir vingt ans de métier dans le graphisme papier et web, je n’ai suivi qu’un seul cours sur le sujet – et encore, pas avant 1999.

    Je soupçonne que le vrai problème est qu’on a des décideurs qui ont de moins en moins de compétences dans les domaines dans lesquels ils travaillent, hormis le managériat pur, et qui décident souvent en fonction de la règle du contractant le moins cher.

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