« The Mirage », de Matt Ruff

Le monde entier se souvient de 9/11, du moment où les avions ont percuté les deux tours, et de la Guerre contre le Terrorisme qui s’en est suivi, avec comme point culminant l’invasion des États chrétiens d’Amérique par les États-unis d’Arabie. Mais si cette réalité était le Mirage éponyme du roman de Matt Ruff?

The Mirage, c’est une uchronie qui donne le vertige: une histoire où le monde musulman est devenue la superpuissance dominante, où l’Amérique du nord est une mosaïque de nations mineures, confite dans un fondamentalisme chrétien très agressif et où Israël a pour capitale Berlin.

C’est surtout un roman où la notion même d’uchronie est au centre de l’intrigue. Car, pour ses personnages – les agents Mustafa al Baghdadi, Amal bint Shamal et Samir, de la Sécurité intérieure – la question de la réalité de leur réalité, justement, commence à se poser quand apparaissent des artéfacts qui laissent entendre que le monde dans lequel ils vivent n’est qu’un mirage.

Le roman flirte donc avec le fantastique, mais de façon très subtile; le plus clair de l’histoire se déroule dans un monde qui ressemble au nôtre, mais vu à travers une lentille déformante.

C’est l’univers-miroir de Star Trek appliqué à notre réalité, un monde où la Grande-Bretagne prend la place de l’Iran, le Texas celui de l’Arabie saoudite, où Osama bin Laden est un respectable sénateur et Saddam Hussein un roi de la pègre de Baghdad.

Une grande partie de l’intérêt de The Mirage tient dans ces constants clins d’œil à notre monde. Quelque part, on retrouve la tendance agaçante des auteurs d’uchronie à nous balancer du name-dropping de folie, mais ici, ça fait du sens – même quand c’est sérieusement tiré par les cheveux, comme les apparitions de Lyndon B. Johnson et de David Koresh.

Si ce roman devait avoir un défaut majeur, c’est que l’intrigue prend pas mal de temps à se dévoiler et, au départ, on a l’impression de suivre une histoire policière dans un monde certes original, mais en elle-même assez plan-plan et avec des personnages pas forcément très intéressants – et certaines digressions prévues pour leur donner de la profondeur vont un peu trop loin.

Mais c’est un peu un faux-semblant, puisque c’est la notion de réalité – le Mirage – qui est au cœur du roman. Une fois qu’on a compris cela, c’est un roman bluffant, avec un final explosif et un épilogue ouvert, qui m’inspire un nom: Tanelorn. Je ne sais pas si c’est voulu, mais le parallèle est assez frappant.

Matt Ruff s’est sérieusement documenté pour écrire The Mirage et ça se sent; si les personnages sont un peu falots, sa description d’une superpuissance musulmane, tiraillée entre ses traditions et les sirènes du sécularisme, avec ses relations compliquées dans un Orient multiconfessionnel – inclus le conflit entre Chiites et Sunnites – est une réussite.

Toutes proportions gardées, j’ai trouvé dans The Mirage un peu les mêmes sensations d’immersion et de vertige que j’avais eues avec The City and the City. Ce qui, à mon avis, est une Bonne Chose. Je vous recommande donc chaudement ce roman.

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