Le peuple, cet ennemi de la démocratie

J’ai parfois l’impression que la notion de démocratie est un des concepts les plus mal compris de toute l’histoire politique de ces cent dernières années (à la louche). De plus en plus, les gouvernements dits démocratiques se défient de plus en plus de leur base, qui le leur rend bien.

Les exemples les plus récents viennent de France, entre l’usage du fameux article “49-3” qui permet de passer une loi en force et, plus insidieusement, les récentes lois de censure et de surveillance, qui semblent partir du principe que toute la population du pays est suspecte et qu’en plus, que le gouvernement n’a pas confiance en sa justice.

Cela dit, en Suisse, ce n’est pas beaucoup mieux: on le voit régulièrement avec des partis qui abusent du droit d’initiative pour faire passer des projets démagogiques en jouant sur la peur de l’autre. Et je ne vous parle pas des vieilles histoires de fichage massif.

Le problème, c’est que le concept même de démocratie est un absolu. Donner un pouvoir complet et absolu au seul peuple me paraît très difficile à mettre en place et très dangereux.

L’idéal serait d’avoir un système comme sur les systèmes collaboratifs, dit “Web 2.0”, où la sagesse des foules parvient à contrebalancer la connerie individuelle (un peu comme l’actuel projet Reboot la France lancé par Korben), mais le problème, c’est que dès qu’on touche à la vie publique, on se retrouve avec le contraire: des voix individuelles raisonnables et un troupeau abruti qui réagit de façon émotionnelle.

Les systèmes que nous avons en place sont de type représentatifs: le peuple élit des représentants pour légiférer et gouverner en son nom. Le concept de démocratie directe n’existe que dans quelques cantons suisses et encore, même si la Suisse a des outils comme l’initiative populaire ou le référendum, qui s’approchent du concept de démocratie directe.

Le point le plus intéressant des systèmes démocratiques, que l’on a souvent tendance à oublier, c’est celui des contre-pouvoirs ou, pour être plus précis, de la balance des pouvoirs. En démocratie, le pouvoir est très rarement absolu, il peut être contesté par d’autres autorités. En dernier recours, les électeurs peuvent aller envoyer bouler les représentants qui ne servent pas leurs intérêts.

À mon avis, les gros problèmes de la démocratie actuelle, c’est qu’elle est devenu un métier à part entière, voire une caste. On pourrait déjà en limiter les effets pervers en interdisant strictement le cumul de mandats électifs et en limitant leur durée dans le temps (renouvelable une fois seulement, voire pas du tout). Une élection par tirage au sort pourrait aussi être une solution.

Le souci, c’est que les élus doivent souvent discuter de sujets qui sont très complexes, très techniques. Vaut-il mieux du coup avoir un gouvernement d’experts qui ne représentent qu’eux (ou, au pire, des intérêts privés) ou des élus représentatifs de la population, mais qui n’y connaissent rien?

La politique elle-même est un domaine très complexe. Nos systèmes démocratiques sont perfectibles et doivent être améliorés. Pour le moment, la caste au pouvoir ne semble pas vouloir en prendre le chemin.

(Photo: Landsgemeinde à Glaris, Suisse, 7 mai 2006, par Adrian Sulc via Wikimedia Commons, sous licence Creative Commons, partage dans les mêmes conditions.)

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9 réflexions au sujet de “Le peuple, cet ennemi de la démocratie”

  1. Déjà quand on voit le mal en France à faire accepter la fin du cumul des mandats… Il faudra ensuite éviter les renouvellements de mandats à rallonge, avec une grosse probabilité de dérive mafieuse ou de copinage. La démocratie, c’est aussi le renouvellement des têtes. J’ai toujours été partisan d’un dose de tirage au sort dans les différents parlements.

    Il ne faudra pas verser non plus dans l’excès inverse : sous la 3è République, les têtes en haut changeaient très souvent, donc c‘était l’administration en-dessous qui devenait autonome. Nous avons aussi ce phénomène. Une administration compétente mais un peu butée c’est parfait pour moderniser un pays à marche forcée, mais elle est forcément dépassée à un moment.

    La démocratie directe et les contre-pouvoirs partout ont leurs avantages, mais ses problèmes : on ne construira jamais une autoroute si tout le monde sur le passage doit donner son accord. On n’aurait jamais bâti l’Europe si l’impulsion n‘était pas partie d’en haut.

    Les contre-pouvoirs, c‘est une nécessité. Mais là aussi, attention au dosage : beaucoup de choses en France prennent un temps fou à cause de toutes les instances (conseils divers en entreprise, administrations…) dont beaucoup peuvent aller en justice pour un oui ou un non — c’est leur rôle. Il nous manque un peu de la technique japonaise de la décision autour de la machine à café, où un projet n‘est formellement lancé qu’après avoir fait le consensus. Sarkozy avait déçu aussi là-dessus : son arrogance de bulldozer ne s‘était pas traduite en actions réelles, même si contestées dans l’autre camp. Hollande est un conciliateur par nature mais ce n’est pas la qualité première qui est espérée en ce moment.

    Aux États-Unis, le système des contre-pouvoirs joue aussi à plein : le Congrès torpille tout ce que l’exécutif veut faire (réforme de santé d’Obama, accord avec l’Iran…) ; la Cour Suprême a une influence énorme sur l’interprétation des lois (forcément, dans un système aussi basé sur la jurisprudence). je ne suis pas forcément fan.

    Non, j’ai pas de solution miracle. Je serais assez partisan de nommer un binôme Obama-Merckel dictateurs de la France pendant 6 mois quand ils auront fini chez eux : leurs successeurs auront plus vite fait de réformer ce qui ne marche finalement PAS que de tenter d’imposer « normalement » des réformes vidées de leur sens au bout du parcours.

    Y aurait aussi à dire sur l’Europe, mais on va vite dériver sur la nullité de nos médias français. La moindre petite phrase de député à l’Assemblée est disséquée, mais le Parlement européen peut voter ce qu’on veut, il n’y aura jamais un écho sur BFM ou TF1.

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  2. Voilà un vaste sujet de réflexion qui m’amènerait à plus de commentaires que je ne me sens la force d’en faire à l’instant. Il y a toutefois un point sur lequel j’ai vraiment envie de réagir: la complexité des choses. Noam Chomsky prétend que la marche du monde est moins complexe qu’il n’y paraît et que tout un chacun pourrait s’y mettre. Du point de vue des systèmes techniques, Philippe Bihouix dans l’Age des low tech (prochainement sur mon blog) dit qu’il faut en réduire la complexité, c’est une simple question de survie dans un monde aux ressources en voie d’épuisement. Personnellement, je crois beaucoup en un mouvement d’autonomisation venant de la base, qui redonne aux gens la confiance en leur capacité de gérer leur vie et leur environnement proche. De là, on peut partir vers un nouveau système fédératif pour gérer les échelons de taille supérieure.

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  3. Je ne pense pas qu’on puisse échapper à la complexité et aux problèmes d’échelle, une grande partie des problèmes actuels viennent du fait que des comportements raisonnables à une certaine échelle sont catastrophiques à grande échelle, apprenez à quelques millions comment pêcher, et vous n’aurez plus de poisson.
    À mon sens, le problème est que le système de communication démocratique est catastrophique, vu que des problèmes complexes sont réduits à des questions booléennes, où bien des choix avec quelques bits d’entropie (http://wiesmann.codiferes.net/wordpress/?p=16045). On se retrouve invariablement avec des choix qui ne le sont pas, où le choisit le moins pire…
    Mon espoir, c’est qu’on passe à un mécanique de décision plus riche, plutôt que de réduire en gardant l’une ou l’autre forme de majorité, on prenne un signal plus complexe. http://wiesmann.codiferes.net/wordpress/?p=5290

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  4. Plus le temps passe, plus j’ai l’impression que la démocratie est un mythe, une illusion de pouvoir entretenue par les dirigeants. On demande au peuple de voter pour des objets (lois, référendums, initiatives,…) qui sont, dans une écrasante majorité, le fruit du labeur des partis politiques. Mais voilà, le peuple, incapable de réfléchir en citoyen, vote en fonction de sa personne et des influences politiques et/ou économiques.
    Parmi la multitude d’éléments pouvant l’influencer, il y a :
    -L’instrumentalisation de ses émotions, savamment entretenue par les médias.
    -L’absence de lisibilité dans les messages des partis, qui entretient un état de confusion. Je me souviens que durant la campagne autour de la réglementation du prix du livre en Suisse, les messages des deux camps étaient : “Oui, pour sauver les librairies” et “Non, pour ne pas les condamner”.
    -L’absence de vision à long terme, du moins pour les votants. Une initiative en apparence innocente, voir limite, peut permettre d’en balancer une seconde qui n’aurait jamais pu voir le jour. Ou, pour être plus vicieux, une initiative non-constitutionnelle qui a des chances d’être acceptée, peut avoir été lancée dans le but de montrer au peuple que son avis n’a aucune importance pour le gouvernement, vu qu’elle ne pourra jamais voir le jour.
    -Quelques prédicateurs de l’Apocalypse annonçant grenouilles et pluies de feu en cas de votation contre l’économie.
    Bref, pour faire simple, la démocratie c’est parier sur l’ignorance du peuple et la résignation de ceux qui doutent d’elle.

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    • Le commentaire est pertinent, mais je pense que le problème ici est que le problème central est que le processus a été dévoyé, c’est devenu un outil pour maintenir une caste au pouvoir. C’est une illusion de démocratie.

      En d’autres termes, le problème n’est pas la démocratie, mais le système dévoyé que l’on persiste à appeler ainsi alors que ce n’est plus vraiment de la démocratie.

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      • Est-ce lié à la taille des États ? N’importe qui ou presque peut faire le tour d’une petite ville pour tenter de se faire connaître, reconnaître et devenir maire. À l’échelle d’un État il faut une infrastructure, donc un parti, et cela favorise donc ceux qui y consacrent leur vie depuis leur jeunesse sans forcément travailler dans le monde réel à côté (Chirac, Sarkozy, Hollande…). La qualité première ne devient pas la compétence technique, mais celle à se mouvoir dans un appareil.

        Ça ne date pas d’hier (voir le livre de Rocard sur sa carrière : http://www.coindeweb.net/blogsanssujetprecis/index.php?post/2008/03/16/486-si-la-gauche-savait-de-michel-rocard ) et ça n’est pas que français.

        Au niveau fédéral (américain/européen), c’est peut-être encore pire, on est encore plus éloigné de sa base par le simple jeu du nombre (un député européen représente des centaines de milliers d’habitants).

        On pourrait finir avec la phrase de Churchill sur la démocratie, pire système à l’exclusion de tous les autres. Au moins avec celui-là on peut en général éjecter les gouvernants les plus infects ; et même s’ils sont une caste, ils doivent servir de relais avec une opinion et des groupes de pression plus vastes.

        (mode perspective lointaine) Ça laisse songeur sur la possibilité même d’organiser une civilisation de plusieurs centaines de milliards d’habitants sur plusieurs planètes avec le système actuel. Ça dépendra de leur autonomie et de leurs liens.

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  5. Gonflé, tu ne vis pas en France et tu nous donnes des leçons de morale politique. No comment Mr le Suisse.

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