Rémunération des créateurs: paye ta passion

J’ai vu passer, sur mes divers fils d’information, quantité de messages sur la question de la rémunération des auteurs·trices, sur la question de la création comme d’un “métier passion” et autres. Le sujet n’est pas nouveau, mais a de nouveau fleuri (c’est le printemps) avec la décision du Salon du Livre de Paris de ne pas payer les interventions des auteurs invités.

Psychée a été particulièrement vocale (qui a dit “comme d’hab”?), d’abord sur le sujet dudit Salon du Livre, mais également à la suite d’une “invitation” du salon Fantasy Basel (le plus grand de Suisse, si je ne m’abuse), qui lui demandait une blinde de thunes pour un stand.

Il y a également eu une série d’articles de Neil Jomunsi sur la question et, surtout, sur la relation entre un·e auteur·trice et son éditeur·trice. J’y reviendrai, parce que ça touche à un autre point: l’auto-édition et son impact sur l’édition classique et sur la création en général.

Le prix de la promotion

C’est une question qui me touche à plusieurs niveaux et d’abord parce que, à mon niveau de semi-branlo de niche, je suis aussi un auteur. Qui plus est, je suis un auteur qui voyage beaucoup pour faire la promotion de ce que j’écris. Et non, en règle générale, je ne me fais pas payer.

La différence, c’est que je vais le plus souvent dans des événements organisées par des associations, des bénévoles – même des grands raouts ludiques comme OctoGônes ou le pôle rôliste du FIJ. Parfois, on peut gratter un petit emplacement gratis pro bono et quelques bons pour des boissons et des sandwichs.

Déjà, les salons, conventions et autres festivals, ce sont des événements qui coûtent cher aussi à ceux qui y vont. En comptant le trajet et l’hôtel, on arrive facilement à une facture de l’ordre de €500-1 000, plus si on doit prendre en compte des repas, le plus souvent pris au resto, et le prix du stand (quand il n’est pas offert).

Si on est une·e créateur·trice professionnel·le, il faut aussi compter que le temps passé sur un salon est également du temps qui n’est pas utilisé pour ses propres créations. Or, un·e créateur·trice qui ne crée pas ne vend pas. En gros, hein. Bref, arriver à justifier financièrement une présence sur un salon ou sur une convention n’est pas trivial.

Je ne suis pas un créateur professionnel. Enfin, si, vu que mon boulot implique un travail de création en mise en page, photo, vidéos et d’autres babioles du même genre, mais ce n’est pas à ce titre que je vais en convention (et, lorsque c’est le cas, je suis payé pour). Mes passages en conv’, je vois ça un peu comme des vacances: j’y retrouve des potes, j’y fais des afters éthylliques, je joue à l’auteur.

Du coup, je ne peux pas m’empêcher de penser que ne pas me faire payer est un mauvais tour que je joue à ceux de mes collègues qui, eux, en vivent (ou essayent de).

L’éveil des passionnés (cue porn music)

Le truc, c’est que nous sommes de plus en plus à créer par passion et, l’air de rien, à avoir un petit succès grâce à cela. La magie d’Internet, c’est aussi de pouvoir toucher un public très éloigné de son cercle habituel. Soyons honnête, une invitation dans une convention, avec son nom sur le programme ou sur l’affiche, c’est gratifiant, pour dire le moins.

J’imagine que, pour un·e organisateur·trice de salon ou de convention, la tentation doit exister de remplacer les auteurs·trices connu·e·s par les semi-célébrités d’Internet, que l’on peut payer en bières. L’exemple le plus flagrant, c’est Polymanga, qui fait venir en masse des YouTubeurs·euses – avec la conséquence que ça tire l’événement vers une orientation plus généraliste, au détriment des activités typées Japon/manga.

Je ne pense pas que le concept de “auteur·trice low-cost” – surtout en jeu de rôle, où il y a vraiment très peu d’auteurs·trices professionnel·le·s – soit encore un vrai problème. Mais ça ne m’étonnerait pas que ça finisse par le devenir.

La création change

Derrière toute cette histoire pointent deux changements majeurs de paradigme. Le premier, c’est que de plus en plus de créateurs passent par l’auto-édition; là encore, Internet a ouvert des possibilités qui n’existaient pas il y a vingt ans, ce qui a pour conséquence d’avoir une explosion créatrice façon lance d’arrosage.

Pour les éditeurs, c’est soit un problème, soit une solution – ce qui, pour les auteurs·trices professionnel·le·s, est dans les deux cas une mauvaise nouvelle. L’avantage d’Internet est de supprimer les intermédiaires: un·e créateur·trice peut dialoguer directement avec ses fans / client·e·s et iel a également à disposition des outils qui lui permettent de récupérer un bien plus grand pourcentage du produit des ventes.

Le désavantage, c’est d’une part qu’un certain nombre de ces intermédiaires se retrouvent à la rue et, encore plus ennuyeux, que la valeur par eux ajoutée est perdue. On pourrait argumenter de l’intérêt d’un processus d’édition ou de promotion d’un roman – ma collègue Jeanne en a parlé sur son blog – mais le fait est qu’il manque parfois aux outils de diffusion numérique un processus de curation efficace.

Le deuxième, c’est “l’industrialisation” de l’édition – ou sa financiarisation, peut-être. Un certain nombre d’acteurs de la branche commencent à avoir une approche purement comptable de la profession et ça commence à se voir.

On est dans une période où la promesse d’outils automatisés donne à certains des idées d’une chaîne de production pour la création numérique sans intervention humaine. C’est encore de l’ordre de la musique d’avenir – voire du fantasme – mais j’ai l’impression que cette idée colporte avec elle le concept d’employer des vraies gens est forcément néfaste – ne serait-ce que financièrement.

Du coup, je vois un peu la branche comme des éditeurs de Schrödinger: à la fois tués par l’auto-édition, mais encore assez vivant pour couper dans tout ce qui ressemble à des coûts surnuméraires – y compris donc une juste rémunération des auteurs·trices, qui sont loin d’être les mieux payé·e·s de la chaîne, et de leurs frais de représentation.

“Pasque tuvois, l’auteur c’est un passionné, l’argent, ça compte pas pour lui”

Je vous passe sur les classiques “payements en publicité” auxquels font régulièrement face illustrateurs, graphistes ou développeurs de sites. C’est un petit le perfect storm entre la logique néolibérale du “on paye le moins possible, de préférence en externalisant les coûts” (financiers et humains) et le stigma moral “artiste, c’est pas un vrai métier”.

Bon, je me rends compte que ce billet est 1) très long et 2) un peu fouillis, genre comme dans ma tête mais en pire. Je pense qu’il y a pas mal de trucs qui y mériteraient un ou deux paragraphes en plus, mais dans l’absolu, je pense que le fond du problème peut se résumer à:

  • il y a de plus en plus de créateurs·trices et de créations;
  • la plupart de ces créateurs·trices le font par passion;
  • il y a de plus en plus de moyens pour ces créateurs·trices (et leurs créations) de toucher leur public, globalement;
  • les métiers traditionnels de l’édition vont devoir sérieusement réfléchir à leur utilité dans ce nouveau paysage;
  • pour le moment, leur solution semble être de pressurer les auteurs·trices et de flinguer la qualité ce qui me paraît être une Mauvaise Idée;
  • les créateurs·trices ont tout intérêt à ne pas accepter n’importe quoi en échange d’une sélection chez un éditeur traditionnel, ils pourraient y avoir plus à perdre qu’à y gagner;
  • les créateurs·trices devraient faire attention à ne pas se mettre en concurrence parmi et à éviter le moins-disant financier, y compris sur les représentations;
  • les événements associatifs / bénévoles sont une alternative aux gros raouts commerciaux;
  • tout ça n’est pas forcément plus clair, mais je soupçonne que je n’ai pas assez dormi pour arriver à faire mieux cette fois-ci;
  • désolé.

Et sur ce, je vous laisse: j’ai une histoire d’elfes pansexuels de l’espace à publier…

(Image sous licence CC0 via Pixnio)

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8 réflexions au sujet de “Rémunération des créateurs: paye ta passion”

  1. Clairement, on se situe à un moment charnière de l’histoire du livre. Le monde de l’édition traditionnel s’est montré incapable de proposer un modèle qui aboutisse à une rémunération décente des auteurs. A mots couverts, on admet que le livre est un secteur qui emploie du monde mais dont le moteur créatif, l’auteur, est presque toujours un amateur. Pour moi, c’est un échec. A titre personnel, je suis auteur publié mais cette activité me coûte plus d’argent qu’elle me rapporte: c’est la définition d’un hobby.

    Maintenant, s’il est vrai que l’autoédition abat les murs et rapproche les créateurs de leur public, lorsqu’il s’agit qu’ils se rencontrent réellement les uns les autres, il est difficile de se passer de structures professionnelles comme les salons et les éditeurs.

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    • Hello et bienvenue!

      En fait, je pense qu’avec l’auto-édition, on peut se passer des structures professionnelles. Ce qui ne veut pas dire qu’on doit forcément le faire. Par contre, il faut que ces structures pro apportent une vraie valeur ajoutée. Pour le moment, j’ai l’impression qu’il y a chez les auteurs aussi un côté fantasmé de dire “je suis publié (sous entendu “chez un éditeur pro”), donc j’ai réussi”.

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  2. Je réagis ici aux deux articles de Psychée que tu cites parce que sous l’angle du jeu de rôles, un salon n’est pas rentable pour les éditeurs non plus. Du temps où j’étais sur les stand Oriflam, le boss ne se disait pas on va vendre plein d’exemplaires, mais “on va peut être vendre assez pour couvrir le coût de la place, du déplacement (metz paris c’est pas non plus à côté), du restau avec les auteurs (forcément quand on les paie pas faut les avoir à la bonne)…”. J’ai l’impression que Psychée est tout de même dans la position salaud de patron qui brouille forcément un peu le jugement, et je pense que la majorité des éditeurs sur un salon certes vendent plus que les auteurs, mais pas non plus autant que dans les circuits classiques de vente, l’idée reste de s’infliger une rencontre avec le public parce que ca se fait, tout simplement pour que les gens aient envie de continuer à consommer, à être curieux, et à ne pas acheter le premier truc qui tombe sur internet, car entre le crowdfunding et l’auto édition, on peut vite se rassassier sans jamais fréquenter un local physique, boutique ou salon.

    Celui qui fait de la thune c’est l’organisateur du salon. Encore que, y’a aussi des salons qui ne sont pas renouvelés, tous ne sont peut être pas aussi rentable qu’on imagine.

    Ce qui m’amène à cette conclusion : est-ce que tout le monde ne serait pas financièrement pris en otage par ces histoires de salon et qu’on y va plus pour le prestige ou casser la routine que pour faire du pognon ?

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    • j’oubliais : ma femme me disait que c’est peut être aussi pour ca que les salons d’aujourd’hui se ressemblent à des marchés couverts avec des animations (je pense notamment au hero festival, où si tu écartes le cosplay, l’animation sabre laser et le stand pour te prendre en photo dans la voiture retour vers le futur, tu paies ton entrée pour acheter des trucs. Le côté partage avec le public, tu peux t’asseoir dessus. mais bon, là, c’est plus du livre…

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    • Je peux me tromper, mais il me semble que Psychée râlait surtout sur l’emploi du vocable “invité”. Si tu es vraiment invité, tu n’es pas censé payer.

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  3. Un truc à mon avis important, c’est que ces créations ont de plus en plus une distribution «Longue traîne». Dès le moment où les éditeurs ont perdu le pouvoir de concentration, les gens se dirigent vers des productions très spécifiques. Cette fragmentation fait qu’il y a moins de public par créateur ce qui précarise ces derniers.

    Je ne crois pas que les éditeurs s’intéressent plus à la question financière que par le passé, il y a un très bon mot pour décrire un éditeur qui ne se soucie pas de ses finances: en faillite. Le problème c’est que toute la chaîne est menacée d’une manière où d’une autre, soit en étant exclu d’entrée (auto-édition), soit parce que les coûts liés à l’inventaire augmentent avec cette fragmentation.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Longue_traîne

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