“The City & The City”, de China Miéville

Il y a des bouquins qui inspirent, chez l’aspirant (également au sens anglais du terme) auteur que je suis, un respect teinté de crainte. L’impression d’avoir touché du doigt et du cerveau quelque chose d’assez exceptionnel. The City & The City, de China Miéville, entre dans cette catégorie.

China Miéville, c’est l’homme de la fantasy urbaine: Perdido Street Station et les ouvrages qui tournent autour de cet univers, plus d’autres que je n’ai pas lus mais qui, à la lecture des résumés, laissent penser que ce sont les villes, plus que les personnages et les histoires qui s’y déroulent, qui occupent une place centrale dans ces romans. The City & The City, comme son nom l’indique – et si tant est que ma théorie est exacte –, ne fait pas exception.

Au commencement de l’ouvrage, il y a le meurtre d’une jeune femme, dont le corps est retrouvé dans un skate park de la ville de Besźel, quelque part en Europe du sud-est. L’enquêteur Tyador Borlú enquête pour se rendre rapidement compte que la clé de l’énigme se trouve dans Ul Qoma, la ville voisine, rivale et, pour tout dire, siamoise de Besźel.

Sans révéler quoi que ce soit de majeur, c’est là le cœur de l’intrigue: les deux villes qui n’en forment qu’une d’un point de vue urbanistique ou géographique, mais dont les frontières sont avant tout sociales et mentales. Les habitants sont mentalement formés depuis le plus jeune âge pour ne pas voir ce qui appartient à l’autre ville: habitants, véhicules, bâtiments. Toute transgression, ou “breach”, est traitée par une force aussi éponyme que mystérieuse.

Le génie de China Miéville est qu’aussi improbable que ce décor puisse paraître, il est crédible, redoutablement ancré dans une contemporain solide et rationel. C’est du fantastique a minima et d’autant plus efficace: pas d’enchantement féérique, pas d’ultratechnologie extra-terrestre ni de malédiction vaudoue; aucun surnaturel. Juste deux villes qui, littéralement, ne peuvent pas se voir.

Besźel/Ul Qoma sont les véritables protagonistes de l’histoire. Certes, il y a un meurtre, une conspiration, des personnages et de l’action, mais c’est cette cité et sa siamoise/doppelgänger (j’ai d’ailleurs adoré le mot-valise topolgänger inventé par Miéville pour désigner les lieux contestés et partagés entre les deux villes) qui sont toujours à l’avant-plan. Tout est redoutablement pensé, logique – et pourtant si absurde.

Une citation promotionnelle sur la couverture de mon édition parle du fruit improbable des amours interdites entre Philip K. Dick, Franz Kafka et Raymond Chandler; pour les deux premiers, aucun doute, mais je soupçonne que, dans un cas de figure, le pauvre Chandler se retrouverait à tenir la chandelle et l’occuper du rejeton pendant que les deux amants infernaux sont en vacances…

Quoi qu’il en soit, The City & The City est un des meilleurs livres que j’ai pu lire récemment: j’y retrouve certaines impressions dichotomiques de dépaysement total et de familiarité que j’ai connues au cours de certains de mes récents voyages exotiques et le décor est tout simplement génial. Le rôliste que je suis y trouvera un million d’idées pour des scénarios urbains, dans quelque époque que ce soit.

En plus, le livre est le support idéal pour écouter du Indukti. Un groupe génial pour un livre génial, que demander de plus?

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2 réflexions au sujet de ““The City & The City”, de China Miéville”

  1. As-tu lu “Yama Loka Terminus” ? Essaie de choper ce livre. Oh, et “Tourville”, aussi. Ça fera plaisir à Alex.

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