Bioshock Infinite

Depuis le temps, vous devez connaître certains de mes réflexes pavloviens. Par exemple, il suffit de dire “bioshock” pour me voir faire comme Ian Fleming: des petits bonds partout. Du coup, l’annonce de la sortie de Bioshock Infinite sur Mac à la fin du mois passé a eu quelques effets délétères sur mon cerveau reptilien. Et sur mon compte en banque, aussi…

(Note: je vais essayer, autant que faire se peut, de limiter les spoilers, mais il risque quand même d’y en avoir un peu; vous êtes prévenus.)

Dire que Bioshock Infinite est une préquelle, sous prétexte que l’action se passe en 1912, est aller un peu vite en besogne: si l’action commence effectivement à cette époque, le protagoniste, un agent de chez Pinkerton nommé Booker DeWitt, va rapidement se retrouver plongé dans des univers parallèles, des failles de l’espace-temps et des jumeaux quantiques particulièrement déjantés et Elizabeth, la fille qu’il a été engagé pour retrouver.

Elizabeth a du caractère: déjà, pour commencer, elle en veut quelque peu à son père, Zachariah Comstock, prophète autoproclamé façon Mormons. Il lui arrive aussi de fuguer ou d’ouvrir des failles dimensionnelles. D’un point de vue plus ludique, elle peut s’avérer être une alliée précieuse, passant à Booker munitions, soins ou menue monnaie trouvée ça et là (dans les poubelles…). OK, dit comme ça, c’est pas très engageant, mais le personnage est très attachant; on a vraiment envie de l’aider.

Au niveau narratif – l’histoire, mais aussi le contexte et l’ambiance – rien à redire: c’est une tuerie. Au sens propre et au sens figuré, mais je reviendrai sur le premier point plus tard. La découverte de Columbia, “cité idéale” volante fondée par Comstock, est un véritable plaisir; pour une fois, on se promène dans une ville encore en bon état – du moins au début.

On est dans un monde steampunk “tardif”, où les technologies du XXe siècle commencent à poindre, transformées par le génie des “jumeaux” Lutece et leur technologie quantique. Il y a des dirigeables, des armes à répétition, même des lance-grenades ou des lance-roquettes, plus – comme dans les précédents épisodes, des pouvoirs spéciaux appelés “Vigor” (disponibles en flacons et dans les meilleurs automates).

Là où Rapture était fondée sur des idées proches de l’objectivisme cher à Ayn Rand, Columbia est elle une expression d’une doctrine appelée “exceptionnalisme” (l’article anglais est plus complet), attribuée à Alexis de Tocqueville, mais n’émergeant réellement qu’au début du XXe siècle et qui soutient que les États-Unis sont une nation qualitativement différente des autres.

L’imagerie de Columbia est donc très fortement inspirée par les excès du patriotisme américain; difficile de ne pas y lire une certaine dénonciation des thèses ultra-nationalistes en vigueur chez pas mal de conservateurs US, ce d’autant plus que c’est une cité où la ségrégation est non seulement fortement implantée, mais également étendue à tout ce qui n’est pas WASP (le groupe ethnique, pas le groupe de métal).

Bioshock Infinite est truffé de symboles et de clins d’œil divers: le fait que les jumeaux s’appellent Lutece alors qu’Elizabeth rêve d’aller à Paris n’est sans doute pas un hasard. Ni le nom de la cité, qui est celui de la personnification des États-Unis. Hormis les variantes sur le thème de la bannière étoilée, il y aussi une certaine prolifération de symboles maçonniques. Le fait qu’on y entre par un baptême n’est également pas anodin, mais je n’en dis pas plus.

En prêtant l’oreille à l’ambiance musicale, le joueur peut reconnaître des versions “antiquisées” de chansons modernes (entre autres Cindy Lauper ou Tears for Fears), que l’on peut entendre dans la ville. L’explication est donnée dans le jeu, mais il est facile de passer à côté.

Je suis beaucoup moins enthousiaste sur la partie ludique de Bioshock Infinite. D’une part, le jeu est beaucoup trop court: au niveau de difficulté moyen, je l’ai poutzé en douze heures, sans vraiment avoir eu l’impression de me presser; j’ai pris le temps de visiter et de faire quelques-unes des quêtes optionnelles. Dans mon souvenir, les deux premiers Bioshock duraient bien le double.

D’autre part, il y a des parties narratives qui ne laissent aucun choix au joueur, ce qui est parfois frustrant. Notamment le final, qui dure une bonne dizaine de minutes et qui, s’il est passionnant narrativement, est frustrant ludiquement. C’est un peu le lot de tous les Bioshock: on joue dans une histoire toute tracée, très peu des choix du personnage ont un réel impact sur son déroulement.

J’aurais aussi des choses à dire sur le côté violent du jeu. Je ne suis pas exactement un perdreau de l’année dans ce domaine, mais l’impression que certaines des scènes sont parfaitement gratuites casse l’ambiance. Par exemple, la première bagarre ne peut se conclure autrement que par un égorgement au lance-grappin (qui sert ensuite à faire le zazou sur des rails suspendus, d’ailleurs). Je regrette qu’il n’y ait pas des options de discrétion ou de combat non létal, comme dans Deus Ex: Human Revolution.

Techniquement, pas grand-chose à redire: même sur mon veau antédiluvien (certes doté d’une carte vidéo de concours), le jeu est fluide et très beau. Le système ne permet d’avoir que deux armes et deux pouvoirs actifs, ce qui est une méchante limite au grosbillisme. Petit problème niveau son: si on est trop loin d’un personnage, on risque de ne pas entendre des indices parfois cruciaux pour la suite (protip: activez les sous-titres). Une mini-carte des lieux aurait aussi été bienvenue: il est facile de se perdre.

Dois-je recommander Bioshock Infinite? Oui et non: dans l’absolu, c’est un jeu impressionnant dans son contexte et sa narration, mais, en l’état, il est trop court et frustrant par rapport à son prix. Si vous pouvez le trouver en action, dans quelques mois (de préférence avec quelques contenus supplémentaires), ce sera sans doute une meilleure affaire.

Ou alors, vous faites comme moi le FBDM et vous y jouez tout de suite…

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