J’ai l’impression confuse que “industriel” est le nouveau “militaire”: un adjectif qui transforme immédiatement le terme auquel il est apposé en oxymore. La nourriture industrielle n’est pas de la nourriture, la culture industrielle n’est pas la culture, la musique industrielle… ah non, ça, ça joue encore. Enfin bref. Tout ceci pour vous dire que, depuis pas mal de temps, on parle beaucoup de l’industrie de la culture.

C’est assez flagrant quand on parle des questions autour du droit d’auteur: on a assez rapidement “l’industrie de la culture” qui pleure parce que les méchants pirates touchent à leur biftek et demandent au passage qu’on augmente encore la durée de leurs rentes sur les morts et, de l’autre côté, des auteurs comme Neil Jomunsi qui pensent que le modèle est foireux et, de toute façon, ne profite pas vraiment à ceux qui créent.

Dans un sens, c’est assez logique: une industrie ne crée pas, elle produit. Il y a une différence. Quand je lis que la plupart des films et séries sortis récemment reposent sur une poignée de scripts différents, le plus souvent pompés d’une version mal comprise du Monomythe de Campbell, cela ne m’étonne pas vraiment. Les industries reposent principalement sur leur capacité à pondre des wagons de produits fabriqués sur le même modèle.

Ne parlons pas de la musique, où il est déjà possible de produire des morceaux composés par des algorithmes. Thias pense même que ce sera le cas aussi pour la littérature, à plus ou moins brève échéance. À ce stade, la question se pose: pourquoi va-t-on encore se fatiguer à créer des trucs quand des programmes informatiques seront capables de le faire pour nous – et peut-être même mieux que nous?

La réponse m’est venue du blog de Charles Stross – et même pas de Stross lui-même, puisqu’il s’agissait d’un article invité. Rachel Manija Brown y explique qu’elle écrit des textes raisonnablement grand public, qui sont parfois publiés par des professionnels, mais elle crée également des livres beaucoup plus barrés (indice: BDSM et brontosaures), pour lesquels elle passe par l’auto-édition.

Elle explique aussi qu’un des problèmes avec l’édition traditionnelle, surtout dans les pays anglo-saxons, c’est que la diversité n’est pas vraiment leur point fort et que, sans aller jusqu’au porno paléontologique, avoir des personnages qui n’entrent pas dans le créneau hétéro-cisgenre-blanc n’est pas évident. L’industrie standardise, elle produit pour le plus grand nombre.

Du coup, la réponse est évidente: s’il est fort probable qu’il existera prochainement des algorithmes capable d’écrire le roman de l’été parfait (ou même le Goncourt parfait), je doute que ces algorithmes soient très efficaces – presque par définition – pour une création qui sorte des sentiers battus. À long terme, peut-être, mais si on reste dans le schéma d’une économie industrielle, c’est quand même peu probable.Ne serait-ce que parce que ça va coûter une blinde à développer.

Et je pense que, de même qu’il existe maintenant des industries de niche au côté de la grande consommation, il y aura de la place pour les petits éditeurs de textes non-conformistes. Et, pour ceux-ci, l’auto-édition ou la micro-édition rendue possible par Internet et des technologies connexes, est un outil extrêmement efficace.

Reste que l’idée de voir la culture considérée comme une industrie a quelque chose de profondément déprimant, parce que l’économie industrielle, privilégiant la masse standardisée à l’artisanal, a quelque chose de déprimant. Après, je soupçonne que, dans les décennies à venir, c’est un modèle qui va de plus en plus de mal à se maintenir face à d’autres technologies émergentes.

En attendant, je pense que c’est une bonne idée de considérer la culture industrielle comme la bouffe industrielle: un truc bon marché, pas forcément désagréable mais pas très sain non plus.

(Image: “Sextuple stereotype perfecting press and folders with color printing attachment 1899-1900”, domaine public, via Wikimedia Commons)

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