Cet article est le numéro 2 d'une série de 2 intitulée Jouer science-fiction

J’avoue – et les plus perspicaces d’entre vous l’avaient noté – que le billet précédent sur la difficulté du jeu de rôle de science-fiction était un peu pure provoc’. Disons que j’ai voulu quelque peu forcer le trait en appuyant sur tous les aspects complexes de la SF.

À mon avis, le vrai problème de la science-fiction en jeu de rôle n’est pas que c’est un genre complexe en soi (je pense que l’époque victorienne ou les années 1930 peuvent l’être bien plus encore), mais bien que son grand concurrent, le médiéval fantastique – et, dans une moindre mesure, l’époque contemporaine – a été abêtit.

Pendant très longtemps, les univers med-fan étaient une sorte de Moyen-Âge à la Disney, revu et corrigé par des ados surhormonés qui avaient trop regardé Conan. La ville, forcément décadente, la campagne, forcément attardée, la grande étendue sauvage, le gentil, le méchant. Rincer et répéter. Les choses ont heureusement un peu changé depuis et les jeux récents proposent des univers plus complexes, plus fouillés, mais je soupçonne que le joueur moyen joue encore pas mal dans un cadre poutre-pex-pouille (pub gratuite) qui s’embarrasse assez peu de subtilités.

Stéréotype plus

Donc, pour en revenir à notre sujet – le jeu de rôle de science-fiction donc –, que faire pour en faciliter l’approche? De deux choses l’une: on peut également passer le genre au stupidificateur et aboutir à une variante de med-fan dans l’espace. Star Wars, avec ses planètes monoclimatiques et son manichéisme béat, est un assez bon exemple. Encore qu’on peut se dire qu’une grande partie du succès de Star Wars vient qu’il bénéficie d’une vaste gamme de supports (films, séries télé, livres, bédés, jeux vidéos).

Sans aller jusqu’à ce genre d’extrêmes, l’utilisation de stéréotypes et de clichés peut avoir son intérêt. J’avais déjà causé plusieurs fois de l’intérêt des stéréotypes en jeu de rôles et, de façon plus générale, comme mécanisme de familiarisation en narration. En résumé, un cliché est un cliché parce que tout le monde connaît; si tout le monde connaît, ça permet de passer rapidement sur les explications laborieuses et de s’intéresser à autre chose.

Une idée à explorer, c’est le stéréotype-mais: un stéréotype, mais avec quelque chose de différent. Exemple au hasard: les Eyldar de Tigres Volants sont des Elfes plutôt stéréotypiques (grands, élancés, beaux, semi-immortels, oreilles en pointe), mais qui baisent tout le temps. Ça peut fonctionner pour un peu tout: la planète glacée, mais avec des sources chaudes autour desquelles se forment les villes; l’organisation pan-galactique bienveillante, mais avec une police secrète qui espionne tout le monde; les méchants pirates de l’espace, mais avec une doctrine politique et une organisation quasi-nationale.

Du plus petit au plus grand

Une autre solution, probablement meilleure sur le long terme, est de restreindre le cadre. Au lieu de jouer dans une galaxie vaste et complexe, commencez par une simple ville sur une planète lambda. Cette idée permet également de limiter la quantité d’informations à balancer aux joueurs: leurs personnages sont nés sur le monde ou, à tout le moins, y ont vécu une grande partie de leur vie, ils ne connaissent du contexte que ce qui est enseigné et ce qui passe dans les médias.

Une fois que les aventures commencent, les personnages auront tôt ou tard l’occasion de se frotter avec d’autres aspects de l’univers et de voyager vers d’autres mondes. Les informations peuvent être distillées au compte-goutte et, suivant les cas, via un prisme culturel. Oui, j’avoue: je vous parle un peu de Tigres Volants vu que c’est un des thèmes majeurs du jeu, mais je trouve que c’est un aspect qui est rarement évoqué.

Problème? Quel problème?

Pour ce qui est de l’équipement, c’est une question qui peut se régler de différentes façons. Il y a bien sûr le contexte: si on joue dans un univers raisonnablement pacifié, l’armement va sans doute être sévèrement restreint par la Loi; cela peut également signifier des technologies qui sont entre les mains d’un groupe ethnique (le peuple Gramobulz est le seul à connaître les secrets des désintégrateurs à onde zobi – et ils ne partagent pas) ou social (= armée) donné.

Par exemple, les vaisseaux. En théorie, un machin qui se balade dans le vide stellaire et qui (selon les univers) a des capacités hyperluminiques ne s’achète sans doute pas comme une Trabant. Ou alors c’est l’équivalent contextuel d’une Trabant: tout en plastique, pas fiable et avec des performances risibles. Et quand bien même les personnages auraient un vaisseau, il n’est pas dit qu’ils fassent trop les malins face à des zozos capables de leur envoyer des trous noirs miniaturisés sur la physionomie.

Passons sur les augmentations génétiques ou cybernétiques, qui peuvent être très mal perçues suivant les peuples ou même les cultures. Bref, l’idée est que la science-fiction ne signifie pas forcément une abondance hypertechnogique. Il y a des contraintes physiques, morales, culturelles et économiques que le MJ peut appliquer et qui, bien faites, peuvent contribuer à la richesse de l’univers. On peut également jouer sur les systèmes de jeu (avec soit un système très mortel très vite, soit au contraire un système où le combat n’a qu’une importance secondaire) et sur les thèmes du jeu.

Vous avez demandé les renseignements, ne quittez pas…

Un petit mot sur l’information: même si on part du principe que l’information recherchée existe quelque part, on peut jouer sur plusieurs niveaux pour en restreindre l’accès quand c’est nécessaire – tout en rajoutant une petite touche de contexte à un problème purement technique. D’abord, il y a la question de la disponibilité; l’information peut très bien se trouver sur une autre planète, dans une autre langue, derrière des complications administratives ou sous des formes pas immédiatement accessibles (vieux registre jamais numérisé).

Ensuite, il y a la pertinence. Trouver des informations sur une personnalité publique n’est pas très difficile; trouver des informations exactes et vérifiées, par contre, est beaucoup plus compliqué. Ça implique un travail qui n’est pas sans rappeler celui du journaliste, à l’époque où ça existait encore. Il se peut même que ce soit – volontairement ou non – impossible de distinguer le vrai du faux; une technique de guérilla informationnelle peut consister à noyer la vrai info sous une infinité de variantes plus ou moins foireuses.

Enfin, en corollaire des deux précédents, il y a le temps d’attente. Une recherche peut s’effectuer via des agents automatisés ou des indics vivants, qui dans tous les cas vont avoir besoin d’un certain temps pour découvrir l’information dont ont besoin les PJ.

En résumé, il n’y a aucune raison pour que, toutes choses étant égales, un jeu de rôle de science-fiction soit plus complexe à gérer qu’un autre genre. L’approche qui est à mon avis la plus simple consiste à commencer à une petite échelle et d’agrandir au fur et à mesure. Tout le monde ne peut pas être Fulgur, Honor Harrington ou Miles Vorkosigan dès le départ – et même ce dernier a commencé sa carrière en gérant des bouseux sur sa planète d’origine.

Commencez petit, mais visez les étoiles. L’univers est votre seule limite.

Et encore.

(Image par Goran sous licence Creative Commons non-commercial share-alike CC-NC-SA)

Naviguer dans cette série

Jouer science-fiction, c’est dur!

Pour soutenir Blog à part / Erdorin:

Blog à part est un blog sans publicité. Son contenu est distribué sous licence Creative Commons (CC-BY).

Si vous souhaitez me soutenir, vous pouvez me faire des micro-dons sur Ko-Fi, sur Liberapay ou sur uTip. Je suis également présent sur Patreon et sur KissKissBankBank pour des soutiens sur la longue durée.