« Outrage et Rébellion », de Catherine Dufour

Au début du XXIVe siècle quelque part en Chine, des jeunes gens dans une pension’ vont se lancer dans la réinvention d’une musique de révolte. C’est le point de départ d’Outrage et Rébellion, de Catherine Dufour.

Depuis le temps, vous savez que j’ai un sérieux faible pour les romans de science-fiction (et assimilés) qui parlent de musique. Surtout si cette musique change le monde. Pour le coup, je ne suis pas déçu. Mais il a fallu que je m’accroche.

D’abord, parce que l’avenir que décrit Catherine Dufour est sale. Un peu comme si, en trois siècles, aucune leçon n’avait été retenue et que l’humanité, non contente de foncer dans le mur en klaxonnant, avait encore le pied appuyé sur l’accélérateur après l’impact. Du post-apo qui ne fait pas semblant.

Mais ça, le lecteur va mettre un certain temps avant de le comprendre, parce qu’Outrage et Rébellion est un roman présenté comme un documentaire, les paroles croisées des témoins de l’époque, captées dix ans plus tard. On a même, à la fin du bouquin, le générique du doc.

Du coup, le contexte passe en filigrane. On comprend que c’est un monde où la surface est devenue inhabitable et divisé en une poignée de dirigeants, qui vivent dans des tours, et la masse des prolétaires, qui habitent les « suburbs » – illégalement: sous la ville. Plus quelques paumés qui survivent dans les ruines.

Qui plus est, c’est un monde où les altérations génétiques et physiques sont monnaie courante et qui est dominé par un système politique moraliste à poigne, même s’il se craquèle de partout.

« La tyrannie fait peur, la liberté fait peur. Et la peur, c’est comme un métal lourd: ça nique les ongles et ça rend con. »

Outrage et Rébellion

C’est assez trash. Non, soyons honnête: c’est très trash. Déjà, ça commence avec des jeunes adolescents qui sont élevés dans un environnement très traditionnel, très contrôlé et très compétitif – les pension’ – qui ne leur convient pas et qui cherchent à en sortir. Ça ne peut pas être calme.

Au centre de cette nouvelle forme de musique, il y a marquis. Oui, « marquis », sans majuscule. J’y reviendrai. Et autour de marquis, tout une frange d’inadaptés qui vont hurler leur dégoût de la société sclérosée qu’on leur propose et, sans le vouloir vraiment, finir par déclencher quelque chose.

Cette musique, c’est aussi le retour du réel dans une société de plus en plus virtuelle. Où, comme le dit un des personnages, au fur et à mesure que les libertés réelles s’amenuisaient, celles du virtuel devenaient illimitées. Marquis et sa musique vont permettre de reconquérir le réel.

Et c’est donc au travers de ces témoignages – forcément peu fiables – que se dessine ce monde de 2320 (purée, trois siècles!) et le destin de marquis. Un destin tracé dans le sexe, les fluides corporels, la défonce et surtout un spleen énorme.

Pour ajouter à cette forme déjà pas banale, Catherine Dufour joue beaucoup sur la langue, en imaginant des jeux de mots sur la retranscription originale en mandarin et des expressions pas banales qui renforcent encore cette impression d’immersion. La capitalisation aussi est importante, les noms propres n’en ayant plus, mais ceux des animaux – par exemple – si.

Cela dit, si vous avez du mal avec les histoires qui commencent in media res et qui se cantonnent exclusivement à l’intradiégétique, vous risque d’avoir du mal avec Outrage et Rébellion, parce que c’est un peu que ça. Mais c’est un bouquin qui vaut vraiment la peine, un truc qui retourne le cerveau bien comme il faut.

D’autres avis chez L’Épaule d’Orion, Le Dragon galactique, Sous les galets la plage, Juste un mot, entre autres.

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3 réflexions au sujet de “« Outrage et Rébellion », de Catherine Dufour”

  1. ça me tente bien cette affaire…Même si ça fait un peu neo-neo-punk, avec quelques poncifs sur sex-drug & rock n roll, décrit comme ça, non ? En fait je me pose aussi la question de ce que sera la musique dans 3 siècles, au regard de ce qu’elle était il y a 3 siècles. Technologiquement, c’est inimaginable, parce que j’imagine des trucs cyber-sensoriels. Ce qui me fait penser que mon histoire d’anticipation manque singulièrement de musique.

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    • Oui, complètement, si tu mets tout le bazar à plat. Mais c’est un peu comme si des gamins avaient, sans le savoir, réinventé le punk après plus de deux siècles d’une politique d’effacement culturel qui ferait passer la Révolution culturelle chinoise pour un simple changement de mode. Les parallèles sont évidents – et l’autrice les détaille sur son site – mais ça n’ôte rien à l’histoire.

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