“Information Doesn’t Want to Be Free”, de Cory Doctorow

Il fallait bien quelqu’un comme Cory Doctorow pour détourner une des phrases les plus mythiques d’Internet et, avec son essai Information Doesn’t Want to Be Free, sérieusement débroussailler la question des droits d’auteur, de la copie, des verrous numériques et, plus généralement, de la liberté d’expression et de création au XXIe siècle.

Sous-titré “Laws for the Internet Age”, ce livre tente de poser un certain nombre de lois et règles en faisant le tri dans l’histoire passée et récente des lois sur le droit d’auteur (surtout aux USA et en Grande-Bretagne). Il reprend et synthétise pas mal des articles et autres textes écrits par Cory Doctorow au cours de ces dernières années.

Il démontre notamment que, de tous temps (ou presque), les évolutions technologiques ont créé des tensions entre les anciennes structures en place et les nouvelles techniques. Non sans humour, il définit cette tendance par le dicton “Tout pirate veut devenir un amiral”, car bien souvent, les petits nouveaux se retrouvent, une génération plus tard, dans les rangs des anciennes structures face à de nouvelles technologies qui menacent leur modèle économique.

Au XXIe siècle, le cœur du problème, c’est la nature d’Internet et des ordinateurs. Fondamentalement, ce sont des machines à copier: tout fichier qui part d’un serveur pour arriver sur un écran va être copié au moins des dizaines de fois. Dans ce contexte, vouloir interdire ou même règlementer la copie est plus que contre-productif: c’est purement absurde.

Qui plus est, la tendance actuelle de vouloir contrôler et limiter les ordinateurs – par exemple en n’autorisant que des programmes approuvés par le constructeur – est non seulement néfaste, mais également dangereuse. Les ordinateurs sont désormais dans des véhicules, dans des immeubles et dans du matériel médical; une telle tendance, couplée aux lois qui interdisent de dévoiler les failles des systèmes de sécurité, risque de compromettre tout un pan de notre société.

Car, même si c’est illégal – surtout, en fait – ces failles finiront tôt ou tard par arriver dans des mains criminelles. Je ne sais pas pour vous, mais le jour où je me retrouverai avec un organe artificiel contrôlé par un ordinateur, je ne me sentirais pas rassuré de savoir que les seules personnes qui peuvent bidouiller sa programmation sont le fabricant et des mafieux bosno-moldaves. Mais, si ça se trouve, ce seront les mêmes.

S’il n’est pas fondamentalement opposé à une règlementation du droit d’auteur, Doctorow montre que les actuelles mesures ne profitent qu’aux soi-disant ayant-droits et, de plus, pénalisent les individus, ce qui est assez récent: à l’origine, ces lois s’appliquaient surtout aux corporations, pas aux personnes privées.

Au final, Cory Doctorow propose – modestement – trois “lois” à son nom:

  1. Chaque fois que quelqu’un verrouille quelque chose qui vous appartient sans vous donner la clé, le verrou n’est pas là pour votre propre bien
  2. La célébrité ne vous rendra pas riche, mais vous ne pouvez pas être payé sans elle
  3. L’information ne veut pas être libre, les gens si.

En explorant ces trois aspects emblématiques de la création contemporaine – le verrouillage des œuvres, la recherche de la célébrité et d’un revenu juste pour les créateurs, et le désir de liberté des utilisateurs – il brosse un portrait tour à tour réjouissant et inquiétant. Réjouissant par le foisonnement créatif – on n’a sans doute jamais autant créé qu’aujourd’hui – et inquiétant pas le désir de contrôle d’industries (et de gouvernements) de plus en plus obsolètes.

Information Doesn’t Want to Be Free n’est pas toujours entièrement convaincant; je l’ai trouvé un peu angéliste sur la notion des droits d’auteurs et celui aussi des créateurs, notamment. Je ne suis pas non plus convaincu par ses notes latérales, qui prennent parfois plus de place que le chapitre qu’elles annotent.

Mais, dans l’ensemble, Cory Doctorow propose un condensé didactique et clair de l’état de la création au sens large du terme, à l’heure d’Internet, le tout dans un format tout à fait lisible: 192 pages au total. C’est un livre sans doute aussi important, dans un domaine différent bien que complémentaire, que The Art of Asking d’Amanda Palmer – laquelle signe d’ailleurs la préface, avec son Neil Gaiman de mari.

Contrairement à ses autres ouvrages, Information Doesn’t Want to Be Free n’est pas disponible sous licence Creative Commons. Pas encore, en tous cas. Peut-être plus tard, mais je n’ai pas réussi à trouver de réponse claire sur le pourquoi. Cela dit, si la question de la création et du droit vous intéresse, je vous en conseille fortement la lecture.

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