Je suis aussi sexiste (et j’espère que ça se soigne)

Y’a pas, dans nos sociétés, c’est quand même vachement cool d’être (avec ±10% d’erreurs expérimentales) un mec blanc hétéro avec un boulot et des sous. C’est confortable. En fait, le seul gros problème, avec ce plan, c’est que j’ai aussi une conscience.

Depuis quelques temps, on entend parler du féminisme; enfin, d’une nouvelle forme de féminisme. J’en avais parlé il y a deux ans, à l’occasion du hors-série de Charlie-hebdo intitulé Le féminisme est l’avenir de l’homme, mais je dois avouer que si le sujet m’avait intéressé sur le moment, les choses en étaient restées là. Bien évidemment, il a fallu que la polémique commence à toucher des milieux dont je me sente plus proche pour que je commence réellement à réfléchir sur le sujet.

Il y a d’abord eu un certain nombre de polémiques, que je n’ai capté que de façon indirecte, sur les filles accusées d’être des “fausses geekettes”. Puis, il y a eu les articles sur le sexisme dans le monde des jeux vidéos, illustré principalement en francophonie par un article de Joystick sur la dernière incarnation du jeu Lara Croft, dont certains passages puaient le machisme, voire carrément l’apologie du viol. J’en avais parlé à l’époque.

Plus récemment, un article du blog Cultures Genre sur le “métal à chanteuse” – terme que j’utilise moi-même à foison – illustrait, plus généralement, la question du sexisme dans le monde du métal. OK, là je me sens vraiment visé…

Blague à part, le fait qu’il y ait du sexisme dans le métal, c’est pour la même raison qu’il y a du sexisme dans le jeu vidéo, dans le jeu de rôle ou dans la bédé: c’est qu’il y en a partout. Ce n’est pas une excuse, c’est une explication; la raison pour laquelle ça se voit peut-être plus dans ces milieux, c’est que ce sont des milieux dit “geeks”, qui ont longtemps fait l’objet d’un ostracisme. Donc, en théorie, la notion d’exclusion fait beaucoup plus tache.

Ce qui est intéressant, c’est que j’ai l’impression que les choses bougent. Peut-être est-ce un effet d’amplification dû à ma prise de conscience soudaine, mais je m’aperçois aussi qu’il y a également une raison pour laquelle tous ces articles apparaissent ces temps-ci, en même temps que des mouvements radicaux comme les Femen ou les Chiennes de Garde.

Je n’aime pas le radicalisme; je crois que j’ai passé l’âge où l’option “tête au bout d’une pique” est une solution acceptable pour les grands problèmes de société. Ça, plus des études d’histoire qui m’ont montré que c’est le genre de plan qui peut peut-être marcher à court terme, mais qui assez rapidement vire en eau de boudin.

Pourtant, je pense que le féminisme est un cas où le radicalisme est nécessaire. Nécessaire pour nous mettre le nez dans le caca, pour pointer les coins sales de notre civilisation, les tendances abjectes de certains de nos concitoyens (voire les nôtres), nécessaire en gros pour nous indigner; le mot est à la mode, profitons-en.

Je ne pense pas que ça résoudra les problèmes, mais ça fera peut-être avancer les mentalités et préparer le terrain pour des solutions potentielles. Mais ce sont des solutions qui vont mettre un moment avant de s’imposer: on parle ici d’un changement sociétal majeur. Du genre qui prend une génération ou deux pour être réellement absorbé.

Ce qui est chiant, parce que dans l’intervalle, on continuera à vivre dans une société où le viol est toléré, voire encouragé, et où la santé des femmes est instrumentalisée pour des questions qui ont plus à voir avec une certaine idée de la morale chrétienne.

Mais c’est un effort qu’il faut faire au plus vite, précisément pour préparer les générations qui nous succéderont. Ces générations verront sans doute ce début de XXIe siècle comme une époque bien obscurantiste, et ses contemporains comme de braves analphabètes à ranger sur la même étagère que ceux qui pensaient que les Noirs n’avaient pas d’âme.

(Photo © Sweetsofa via Flickr, sous license Creative Commons.)

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27 réflexions au sujet de “Je suis aussi sexiste (et j’espère que ça se soigne)”

  1. Quelques pensées en vrac…

    S’il est vrai qu’il vaut mieux être blanc, hétéro, mec et avec de l’argent dans beaucoup de sociétés, on peut noter que plus on a d’argent, moins le fait de ne pas être blanc, hétero ou mec est un problème. Mais c’est un autre débat, je le reconnais.

    Maintenant, concernant le radicalisme, je pense tout le contraire de toi.
    Autant je pense que la seule solution à des problèmes comme le capitalisme, c’est la tête des traders au bout de piques et les banquiers pendus par leurs tripes, autant je trouve qu’en matière de féminisme c’est tout le contraire.

    Je dis souvent que le problème du féminisme c’est les féministes. (ce qui m’attire régulièrement des foudres ici ou là)
    Ce que je veux dire par là, c’est que plus le féminisme est radical moins il est entendu. Les femens par exemple, difficile de voir autre chose que des guignoles (j’ai mis un “e” à la fin pour faire plaisir) et j’ai du mal à percevoir leur message. Ou les féministes anti-hommes. C’est sûr que souhaiter des sociétés où les hommes et les femmes vivent séparément, ou bien où les rôles sont inversés (les femmes deviendraient le sexe dominant) ça va vachement faire progresser les choses. Not.

    L’éducation par contre, le féminisme en politique par contre…

    (bon ensuite, indirectement, si on plante les têtes des religieux sur des piques, ça va effectivement faire avancer la cause des femmes, donc un peu de radicalisme est peut-être nécessaire de ce côté)

    Ensuite les milieux que tu fréquentes, je sais pas. Le metal, je fréquente pas, et durant les nombreuses années où j’ai été rôliste, j’ai jamais trop fréquenté la “communauté” (je jouais avec mes amis rencontrés dans des contextes non rolistes – au lycée en général – pas en club, convention, etc) mais il est vrai qu’une raison principale était que ça puait quand même un trop la testostérone (et la sueur).

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    • Ce que j’aime bien avec le féminisme radical – du moins, celui que je perçois à travers un certain nombre de filtres – c’est qu’il est une sorte de miroir déformant, une hyperbole pas forcément très subtile, mais assez efficace dans sa dénonciation des privilèges masculins.

      OK, ça en fait des tonnes, mais ça a le mérite de ne pas fermer sa gueule et, au contraire, de révéler par les réactions qu’il provoque un certain nombre de comportements lourdingues, voire carrément odieux.

      À part ça, la radicalisation façon “tête au bout d’une pique”, mon expérience d’historien me fait fortement relativiser l’impact réel, à long terme, que ça peut avoir. Sur l’instant, je ne doute pas que c’est très satisfaisant de pendre le dernier banquier avec les tripes du dernier curé (ou quelque chose dans ce goût-là), mais je doute que ça fasse réellement avancer la cause laïque et collaborative.

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      • Tu dis ça parce que tu es suisse. Mon expérience de Français me dit que les têtes des gens de pouvoir au bout des piques, sur le long terme, c’est pas trop mal en fait. 😉

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        • Ça se discute. Les privilèges de l’aristocratie ont certes été abolis, mais on pourrait arguer qu’ils ont été remplacés par d’autres aristocraties, tout aussi privilégiées.

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          • C’est parce qu’il faut renouveler la chose assez régulièrement, et que là, on a un peu pris du retard (il faut rattacher ça à ma suggestion à propos des banquiers et des traders)

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  2. la chute est puissante. J’aime beaucoup la dernière phrase.
    A quand un billet sur les solutions, maintenant que le constat est fait ? 😉

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    • Je ne suis pas sûr d’avoir des solutions à proposer autre que “prenons conscience, indignons-nous, changeons nos mentalités et essayons de changer celles de nos contemporains (dans cet ordre)”.

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  3. La multiplication des articles donne effectivement l’impression d’un mouvement d’une certaine ampleur. Sera-t-il suffisant pour vraiment faire bouger les choses, la question est ouverte.

    Je pense malheureusement que le problème est très profond. Cela fait des milliers d’années que les femmes sont dévalorisées, ça fait une sacrée inertie. De plus, dans nos sociétés hyper-concurentielles, l’infériorité postulée de la femme arrange bien les hommes: cela leur fait d’entrée 50% de concurrents en moins. Et ça ne va pas s’améliorer dans la crise permanente que nous vivons maintenant depuis 2007-2008.

    Il serait certainement plus facile de faire une place plus équilibrée pour tout le monde dans une société où la coopération dominerait. Mais pour cela, il faudrait un changement dans l’éducation et un certain nombre de générations. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’atteler à la tâche.

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    • C’est clair, c’est tout le fondement de notre société euro-occidentale qui est à remettre en question, mais n’oublions pas non plus que nous ne sommes pas les premiers à ce faire.

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  4. C’est vrai qu’être un mâle blanc, hétéro et en bonne santé c’est bien.
    Mais être un mâle blanc hétéro qui galère comme un malade et à qui on dit qu’on préfère embaucher une femme pour un poste de chargé de com c’est aussi difficile à vivre.
    Dans l’ensemble je suis d’accord avec ce qui dit Stéphane. Dans le milieu de la SF par exemple il y a quelques îlots de machisme, notamment une certaine revue qui en a plus ou moins fait sa marque de fabrique. Quelque éditeurs qui déchaînent de manière imbécile sur leurs consoeurs. Il y a des choses à revoir. Aux USA un responsable éditoriale a été pris en flagrant délit de harcélement sexuel avec des auteurs féminins ( il proposait de les publier en échange de ce que vous pensez). Bref peut mieux faire.

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    • Ouais, l’expérience dont tu parles, je voulais aussi le mentionner, mais je ne savais pas comment placer ça.

      Le fait est qu’une des conséquences pas drôles du radicalisme féministe, c’est que les quelques siècles/millénaires de domination vont un jour se payer. Cher.

      L’idée de changer les mentalités au plus vite, c’est que plus on tarde, plus la facture va être salée. Et ça sera bien fait pour nos gueules collectives. Et, le pire, c’est que ce sera sans doute contre-productif.

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  5. Tout ceci me laisse à penser que la démarche, toute légitimité mise à part, n’est qu’une manière de faire pousser une égalité en cultivant des différences, quelque chose qui, hors contexte, est totalement impossible. Les discours sont d’ailleurs parfaitement illogiques au bout d’un moment, puisque les arguments qui assoient une position sont contredits par d’autres. Je veux bien qu’il s’agisse d’une action radicalisée, mais elle s’approche dangereusement du bord du gouffre de l’absurdité. Or, j’ai toujours pensé qu’on avait avant tout besoin de bon sens. Celui-ci doit-il obligatoirement intervenir après avoir cassé tous nos repères sociaux ? En somme, c’est une révolution (une vraie, pas comme celles annoncées par Steve Jobs), et il risque d’y avoir encore beaucoup de victimes. Et le problème d’une révolution, qu’elle réussisse ou échoue, est qu’elle laisse des cicatrices et une minorité qui doit accepter le dictât du vainqueur. Et c’est tout aussi malsain d’en arriver là que de l’avoir provoqué, parce que ça ne résout rien sur le fond.

    Je continue à prôner le discours rationnel, mais c’est surtout parce que je n’aime pas les conflits. Le respect est la clé de tout.

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  6. C’est vrai qu’il y a des choses qu’il faut combattre. Contrairement à ce qui se passe aux USA, en France la permissivité envers la pornographie qui montre une image dégradée de la femme est une honte. Le porno aujourd’hui ça fait partie de la culture du bobo moyen. En plus selon le professeur Nizan, près des trois quart des ados ont vu un porno avant l’âge de douze ans. Donc là on est en train de créer une génération de macho abruti. Quand ont voit que les viols commis par les mineurs sont en augmentation. Là il faut sévir et vite. Mais il semble qu’il n’y ai pas de courage politique.
    Je préférerais éviter les excès américain où l’alliance des chrétiens et des féministes a donné une chasse au sorciére où le moindre sein nu est considéré comme de la pornographie. Mais tout même la permissivité française n’est plus tenable.

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    • Sur le porno, je serais beaucoup plus circonspect. Probablement par expérience personnelle. Ahem.

      Le problème n’est à mon avis pas dans le porno que dans le fait qu’il y a une totale absence d’esprit critique envers les médias. On n’apprend plus à faire la part des choses et, pour ne rien arranger, on a des nouvelles formes de médias, comme la télé-réalité ou le mockumentaire, qui jouent sciemment sur l’ambiguïté entre réel et fiction.

      La montée en puissance massive des médias ces trente dernières années a également contribué à un nivellement par le bas de la qualité, en même temps que l’esprit critique se délitait. On en revient à l’éducation, encore et toujours.

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    • De façon générale, je ne suis pas un grand fan de la radio, c’est un média qui me gave très rapidement.

      Mais merci pour la référence et le commentaire – et bienvenue!

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