J’ai coutume de dire que le monde est rempli de classiques que je n’ai jamais vus, lus ou entendus. La Horde du Contrevent, roman d’Alain Damasio, semble faire partie de cette catégorie, si j’en juge par le nombre de gens que je connais qui l’ont lu. Il était donc temps de combler cette lacune-ci.

En apparence, La Horde du Contrevent est un roman de fantasy, où un groupe éponyme d’une vingtaine de personnes essaye de rejoindre un mythique Extrême-Amont sur un monde balayé par des vents très violents. La Horde est la trente-quatrième du nom et elle se lance dans un périple qui va durer plusieurs décennies.

La narration suit les différents membres de la Horde, désignés sous la forme d’un symbole que l’on retrouve au gré des pages dans des diagrammes de formation (le livre comportait une antisèche sous la forme d’un marque-page). Elle se concentre néanmoins sur une poignée de personnages: Sov, le scribe, Oroshi, l’aéromaîtresse, Caracole, le troubadour, et le fort peu fréquentable Golgoth, traceur et leader de la Horde.

Je dois avouer qu’au début, j’étais perplexe. Quelque part, l’idée de suivre une sorte de quête héroïque, “homme contre Nature Hostile” sur près de sept cents pages (en version livre de poche, écrit très petit, et avec une numérotation de page inversée) ne m’enthousiasmait assez peu.

Mais, dès la rencontre de la Horde avec les Fréoles, qui naviguent les vents à bord de voiliers volants, l’histoire évolue. Sans trop en révéler, disons que la longue tradition des Hordes est en danger, que la trente-quatrième pourrait bien être la dernière et que des gens influents aimeraient bien qu’elle s’arrête le plus vite possible.

Et puis il y a les obstacles: la Horde doit lutter contre les vents, mais également contre une mer intérieure – ironiquement surnommée La Flaque – contre des parois de glace verticales, contre des volcans de vent, mais aussi contre des magouilles politiques via une joute verbale ahurissante, contre des assassins et contre des créatures étranges, les Chrones, qui semblent changer la réalité.

C’est peut-être là le point qui m’a le plus dérangé dans le contexte construit par Alain Damasio: ce monde du Contrevent mélange allégrement approche scientifique et éléments fantastiques. Et, surtout, au fur et à mesure que la Horde avance dans sa quête, ces éléments fantastiques deviennent de plus en plus WTF. Dans les derniers chapitres, j’ai eu du mal à garder mon incrédulité suspendue.

Ce d’autant que l’écriture, truffée de jargon et de conventions bizarres, était plutôt intimidante. J’ai fini par m’y faire, mais je comprends que beaucoup de lecteurs aient été rebuttés: c’est un langage volontairement archaïque, qui mélange constructions poétiques, argot, jargon et termes scientifiques.

La langue est d’ailleurs un des thèmes majeurs qu’aborde La Horde du Contrevent. Bon, techniquement, le Vent – avec une majuscule – est le thème majeur et la parole, sous la forme de vent qui sort des gens, en est un thème secondaire.

Et puis le dernier chapitre est très bizarre. Il se lit comme si les personnages étaient somnambules, dans un état catatonique post-traumatique, jusqu’à une conclusion que, personnellement, j’avais vu venir de loin (pour être très honnête, j’avais plusieurs théories, mais celle-là était largement en tête).

Tout ça pour ça? Oui et non.

Je soupçonne – mais je n’en suis pas certain – que La Horde du Contrevent est une de ces aventures où le voyage est plus important que le but à atteindre. Disons que, si c’est le cas, ça aurait pu être amené de façon plus franche.

Je reste pour ma part sur une impression mitigée. Finalement, j’ai l’impression qu’Alain Damasio nous livre un objet qui tient plus du conte et de l’épopée antique que du roman. Certains éléments, comme les diagrammes de formation de la Horde et les notations des vents, ainsi que le côté de plus en plus onirique de l’univers, me laissent le penser.

C’est peut-être cela qui le dessert quelque peu: La Horde du Contrevent pourrait être un très chouette roman, une très chouette épopée ou un très chouette conte. Au lieu de cela, il est un peu des trois et du coup, niveau forme, il se disperse.

Si ça se trouve, ce texte est un Chrone.

Il y a aussi le fait que c’est un texte tellement foisonnant, tellement ambitieux et baroque que je me suis demandé à plusieurs reprises si l’auteur ne se foutait pas un peu de la gueule du lecteur. À vrai dire, après coup, c’est une hypothèse qui reste dangereusement plausible, même si ça me paraît assez abusé de livrer près de huit cents pages pour ce simple plaisir.

Même si j’hésite encore entre chef-d’œuvre, pure esbrouffe ou un truc entre les deux, j’en recommande la lecture à ceux qui ne l’ont pas encore lu. Malgré tous ses défauts, ça reste un ouvrage impressionnant. Probablement un des meilleurs livres que je n’ai jamais envie de relire, notez.

D’autres avis chez plein de gens, mais notamment Le Tigre Lit, Nebal (qui lui taille un costard grand siècle), Fred H (qui l’a fini un poil avant moi et qui a aussi eu du mal), plus le projet de bouquin sur l’œuvre chez Cosmo[†]Ørbüs.

Post-scriptum: La Horde du Contrevent a été récemment adaptée en bande dessinée. Je ne la lirai pas.

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