L’athée à l’amende: “Traité d’athéologie”, de Michel Onfray

Étant d’un naturel taquin, j’ai embarqué à Rome le Traité d’athéologie, de Michel Onfray; je pensais profiter de ces vacances pour terminer cet ouvrage, que j’avais mollement commencé, il y a quelques mois. Je dis “mollement” parce que j’en avais fini l’introduction avant que le reste de l’univers décide de s’interposer — et c’est par définition le genre d’ouvrage que j’évite de lire au bureau, car je suppose que l’œcuménisme a ses limites (c’est pour les mêmes raisons que j’évite souvent d’être trop ostensible avec certaines couvertures de Charlie-Hebdo…).

En fait, il se lit plutôt vite: une petite poignée d’heures ont suffi pour en venir à bout. Et pour se rendre compte qu’il y a quelque peu tromperie sur la marchandise: faute d’un réel traité, on a plutôt affaire à un pamphlet.

Bon, l’affirmation est sans doute un peu exagérée: l’ouvrage n’est pas sans mérites scientifiques, mais, tout au long de sa lecture, la forme interpelle plus que le fond: Michel Onfray est un athée de combat, un athée pratiquant. Un passionné — passionnant, certes, mais souvent agaçant dans son prosélytisme. Et c’est vraiment dommage: le Traité d’athéologie fourmille de bonnes idées, se lit facilement et on a du mal, si on a un semblant d’intérêt pour la chose religieuse et un esprit un tant soit peu critique, à ne pas se laisser emporter par ses arguments.

Dans une première partie, Onfray démonte l’historiographie de l’athéisme, décortiquant les prétendus “premiers athées” (qui n’en sont pas) pour révéler des noms nettement moins connus (volontairement ou non). Rien que ce travail d’érudition mérite plus qu’un coup de chapeau.

Il s’attaque ensuite aux trois religions du Livre: Judaïsme, Christianisme et Islam en prennent pour leur grade et c’est sans doute la partie la plus convaincante de l’ouvrage. L’auteur ne se contente pas de démonter les trois grands monothéismes, leurs similitudes et leurs travers communs: il le fait avec une précision chirurgicale — mais derrière laquelle transparaît déjà l’absolutisme des convaincus (des convertis?). Personne n’en sort grandi, pas même les modérés, tenants d’une théologie “adoucie”; mais, là encore, son point de vue se défend.

Seulement, quand il s’attaque aux textes eux-mêmes, Onfray commet ce qui m’apparaît comme une erreur rhétorique majeure — l’équivalent de se loger un obus antichar dans le pied. Dénoncer le manque de cohérence des textes, en expliquant là encore par l’historiographie qu’ils ont souvent été écrits, d’une part des années après les faits — réels ou avérés — d’autre part à des années les uns des autres, c’est un fait (je recommande d’ailleurs, sur ce sujet, la lecture de Jésus après Jésus, de Gérard Mordillat et Jérome Prieur). Commencer ensuite à les décortiquer est du coup complètement contre-productif: pourquoi s’évertuer à relever les incohérences d’un texte dont on a auparavant établi qu’il a été écrit après les faits, dans un contexte sociopolitique différent, par quelqu’un qui répondait sans doute à d’autres impératifs, puis copié, recopié, traduit, retraduit, le tout sous l’égide d’autorités ayant toutes leurs propres agendas? Autant poser, une fois pour toute, ces textes comme non fiables et éviter d’entrer dans le jeu des gloseurs, qui ont en général quelques siècles d’avance sur la question.

J’ai trouvé aussi franchement douteuses les parenthèses appuyées sur les amours catholiques d’Adolf Hitler; pas nécessairement que la chose soit fausse, mais que, dans le cas présent, on frôle le hors sujet — et, en jargon Internet, le Point Godwin. J’ai presque l’impression que ce genre de choses a été ajoutée pour faire “mode”, en cette période du 60e anniversaire de la fin de la 2e guerre mondiale. On ne va quand même pas se lancer dans la “Hitlermania”…

En conclusion, le Traité d’athéologie n’est pas un mauvais livre; il est même plutôt bon, mais il m’a quand même agacé. Je l’avoue, à la lecture de certaines critiques et commentaires, je m’attendais à être sérieusement agacé; mais je craignais bien pire, je suppose donc que mon relativement faible niveau d’agacement est plutôt bon signe…

Le problème est que je supporte de moins en moins les extrémistes, surtout en matière de religion. Certains diront que c’est ma nature de Suisse; c’est possible, mais je dirais que c’est aussi une question d’expérience — d’expériences, en fait. Je vis et j’ai vécu dans un environnement relativement protégé, certes, mais j’ai aussi rencontré pas mal de gens victimes d’extrêmes, d’une façon ou d’une autre. Je n’aimerais pas que ça m’arrive. Or, si je n’aime pas les fanatiques religieux, je ne pense pas qu’un fanatisme athée soit la meilleure façon de les combattre.

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