En ces temps où on parle beaucoup de culture, surtout dans le cadre des différents accords censés “sauver les artistes”, mais écrits par les lobbyistes de l’industrie, la lecture d’un ouvrage comme Mainstream, de Frédéric Martel, est un salutaire rappel à la réalité.
Sous-titré “Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias” et présenté sous la forme d’une enquête sur les cinq continents, cet ouvrage assez massif (560 pages de texte pour son édition de poche, chez Champs Flammarion) décrit les tenants et les aboutissants de la culture populaire, dite “mainstream” et, surtout, la lutte qui se déroule entre nouvelles et anciennes “grandes puissances” des contenus.
S’il ne fallait retenir qu’un seul point de cet ouvrage, c’est que la culture mainstream est une industrie; elle est organisée comme une usine taylorienne, les postes découpés au plus juste selon une division du travail implacable. Les studios indépendants? Inféodés aux grands groupes. La culture européenne, encore centrée sur l’auteur? Marginalisée.
La plus grande partie de l’enquête de Frédéric Martel se concentre sur les USA: Hollywood, l’industrie du disque; les livres et la presse, aussi, mais moins. La description de comment fonctionnent les grands studios d’Hollywood, une machine qui va de l’école de cinéma aux salles multiplexes en passant par les syndicats, est assez édifiante.
Puis l’auteur part explorer le monde, les nations émergeantes dans le domaine de la création de contenu: Inde, Chine, Japon et Corée et Asie; Brésil et Mexique en Amérique latine; Égypte, Liban et Arabie saoudite dans le monde arabe. Partout, le constat est le même: pour réussir, il faut produire local. Et, curieusement, seuls les Américains arrivent à produire des contenus qui touchent le monde entier (ou peu s’en faut).
Enfin, dans une dernière partie plus courte, la situation européenne est explorée sous différents angles, pour arriver à la conclusion qu’elle a beaucoup de mal à percer par manque de vision globalisante. Paris et Londres sont certes des capitales culturelles, mais pour les musiques africaines, respectivement francophones et anglophones.
Le sujet est passionnant, la démonstration bien construite et, surtout, le bouquin n’est pas un essai ennuyeux bardé de chiffres rébarbatifs. Oh, certes, des chiffres, il y en a, mais en mettant en avant ses rencontres avec plusieurs dizaines d’acteurs des médias de par le monde, Frédéric Martel parvient à rendre l’ensemble très vivant. Il n’est pas à l’abri de formules de style un peu trop alambiquées, mais elles restent rares.
“Connaître son ennemi”, dirait Sun-Tzu; ce n’est pas le seul argument en faveur de la lecture de Mainstream quand on s’intéresse aux questions culturelles. Vous aussi vous pourrez ricaner lorsqu’on vous assènera les arguments “le piratage tue les artistes!” Les artistes sont à peu près complètement absents de cet ouvrage: la culture mainstream n’est pas un art, c’est une industrie. Qui plus est, c’est une industrie qui s’accommode très bien du piratage, qui le voit comme une forme de promotion.
Il y a aussi dans ce livre un formidable panorama d’un monde globalisé, des campus aseptisés d’Hollywood aux restaurants de Mumbai où se croisent les réalisateurs de Bollywood, en passant par les réceptions huppées de la presse new-yorkaise, les studios de jeux vidéos français et les rayons pornos des vendeurs de DVD libanais.
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