“Playing at the World”, de Jon Peterson

Quarante ans, ça fait une paye! Il était donc presque logique qu’un historien s’attache à retracer la genèse des jeux de rôles en général et de son Grand Ancêtre en particulier, j’ai nommé Dungeons & Dragons. Pour le coup, c’est Jon Peterson qui s’y colle, dans un ouvrage intitulé Playing at the World, dont avait déjà parlé Greg Pogorzelski et Imaginos.

Bon, à vrai dire, je ne sais pas si Jon Peterson est réellement historien, avec diplôme et tout le schmilblick, mais je peux vous dire qu’à mes yeux d’historien diplômé (avec tout le schmilblick), ce qu’il fait ici est un véritable travail d’historien, retraçant et débattant des sources, recherchant le contexte et analysant les influences.

Sa thèse, c’est que D&D représente le point culminant de deux siècles de jeux de simulation, partant des Kriegspielen prussiens, en passant par les jeux de figurines du début du XXe siècle comme Little Wars, de H.G. Wells, par les wargames à figurines plus classiques, par Diplomacy et par la Society for Creative Anachronism (SCA), pour ne citer que les géniteurs les plus prestigieux – il y en a d’autres dont je n’avais jamais entendu parler, mais également pas mal d’auteurs de fantasy et de SF connus, comme Fritz Leiber lui-même ou Marion Zimmer Bradley.

Pour tout dire, Playing at the World part carrément des échecs (et de leurs multiples variantes) pour s’arrêter à la fin des années 1970 avec les premiers jeux de rôles autres que D&D – qui lui-même, au début, ne se définissait pas comme un role-playing game; le terme est venu plus tard. Dans son épilogue, l’auteur pousse même une petite pointe vers les premiers jeux informatiques. C’est peu dire que d’affirmer que le panorama est vaste!

Il explore également quelques éléments connexes, comme le développement de la littérature fantastique, depuis la fin du XIXe siècle: les pulps qui fourniront aux auteurs des premiers jeux de rôles – et à leurs joueurs – des influences capitales. Il est d’ailleurs amusant de constater que Tolkien n’apparait pas dans la première liste des inspirations de D&D, les ouvrages de Fritz Leiber ou Robert E. Howard étant plus facilement cités.

On trouve également quelques anecdotes intéressantes sur certaines communautés pré-rôlistes, comme la SCA précitée, ainsi que les jeux par correspondance dans des mondes de fantasy comme Coventry ou Midgard (inspiré par un jeu allemand, Armageddon). On découvre aussi qu’il n’a pas fallu bien longtemps – à peine une année – pour que commencent à apparaître des règles optionnelles ou alternatives pour D&D (notamment les coups critiques ou les points de sorts) et, par conséquence, des querelles sans fin entre les auteurs, Gygax en tête, et les fans.

Travail d’historien, donc, ce qui implique une foultitude de sources et des notes bibliographiques en pagaille: pas loin de 20% du bouquin est constitué de références, principalement des fanzines. C’est impressionnant; je doute qu’il reste encore beaucoup de sources inexploitées sur le sujet. Le défaut, c’est que ça donne parfois un côté franchement aride au style. Les publications académiques ont leurs limites.

Comparé à Of Dice and Men, que j’avais chroniqué précédemment, Playing at the World est bien plus complet, bien plus détaillé, mais également moins enlevé, moins agréable à lire. Pas que le style de Jon Peterson soit mauvais, mais c’est plus serious business is serious. L’un est un travail de journaliste, l’autre d’historien; c’est un peu normal et, à mon avis, les deux sont plutôt complémentaires (à condition de commencer par le premier).

Playing at the World est un gros pavé – 722 pages dans sa version imprimée – mais il est absolument indispensable, car à peu près unique, pour comprendre les origines du jeu de rôles. Et, par la même, le jeu de rôles en général, parce que savoir d’où on vient est toujours important.

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6 réflexions au sujet de ““Playing at the World”, de Jon Peterson”

  1. Ah, ça y est, tu as réussi à en venir à bout ! 🙂
    On a en gros le même avis sur la bête, en tous cas. Il ne te reste plus qu’à lire Designers & Dragons, le pavé d’Appelcline (beaucoup plus digeste), pour compléter le panorama.

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