Une de mes nouvelles expressions fétiches, c’est “ce n’est pas un problème de XYZ, c’est un problème de connards“, où XYZ est un phénomène de société quelconque. Je crois qu’une des premières fois où je l’ai sortie, c’était au cours d’une discussion avec Axelle sur le narrativisme en jeu de rôle. Pour poser le niveau, donc.

Je pourrais citer beaucoup d’exemples où les emmerdes ne viennent pas tant du phénomène lui-même que de sa tendance à attirer – et à encourager, mais j’y reviendrai – les comportements de connards finis. Le foot, surtout dans sa variante “spectacle de masse”, en est un bon exemple; de façon générale, les fans un peu trop fans.

Notez bien que je parle de “comportements de connards”; comme je l’ai déjà mentionné, il y a somme toute peu de “vrais” connards, des gens qui prennent plaisir à faire chier toute la planète. C’est heureux. Par contre, il y a beaucoup de monde – votre serviteur y compris – qui a des tendances plus ou moins fortes à glisser vers ce genre de comportement.

Ce n’est certes pas nouveau, mais j’ai l’impression qu’une des choses qui a changé ces derniers temps, c’est que l’image du connard est devenue cool. Le côté transgressif du personnage qui se fout des conventions sociales a certainement un appel et – là encore, moi le premier – on se régale de ses sorties misanthropes et de ses vannes méchantes.

Je pense bien évidemment à House, ou à Sherlock Holmes (celui de la BBC, mais aussi celui de Elementary) voire, dans ses mauvais jours, au Docteur, surtout dans sa période Capaldi. On pourrait aussi remonter aux humoristes français des années 1980 – Desproges, Coluche et consorts.

Mais on oublie que cette connarditude est le plus souvent une caractéristique secondaire du personnage. Soit c’est une conséquence d’un problème psychologique – Sherlock est un sociopathe fonctionnel, le Docteur est un extra-terrestre – soit, dans le cas des humoristes, c’est un outil pour au contraire dénoncer les attitudes qu’il emploient.

Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas compris ce principe: ils pensent qu’on peut être drôle juste en se comportant comme un connard. Ça ne serait pas un problème s’il n’y avait pas effectivement un public pour leurs bêtises.

Je veux bien admettre qu’il n’est pas toujours facile – ou, à tout le moins, acceptable en société – de dire à quelqu’un qui essaye d’être drôle qu’il ne l’est pas. Surtout si ça implique de lui faire remarquer que son comportement est plutôt celui d’un gros connard que d’un fin humoriste.

Ce n’est pas toujours facile de faire la différence, déjà, ni de ce faire sans se comporter soi-même comme un connard. Reste que, dans ce genre de cas, se taire équivaut souvent à soutenir ce genre de comportement; certes, râler risque de conforter l’autre dans son bon droit du mauvais goût, mais, dans ce cas, ça confirmerait au moins qu’on a affaire à quelqu’un qui se comporte sciemment comme un connard et qui, donc, n’est pas très loin du “vrai connard” sus-mentionné.

Comme souvent, le “problème de connards” n’est pas nouveau, mais un des effets secondaires de la démocratisation des réseaux de communication est qu’il est devenu, ces dix ou quinze dernières années, difficile à ignorer. On aurait pu croire que la “sagesse ses foules” (oui, moi aussi ça me fait rire, maintenant; jaune) aurait calmé leurs ardeurs, mais pas de bol: ça donne surtout un nouveau public à ces comportements.

On peut espérer que la renommée est chose fugace et que la mode du connard-héros va finir par s’estomper, mais je doute que ça arrive si on ne change pas soi-même d’attitude. D’abord en résistant à la tentation de faire le connard – je sais, ce n’est pas facile – et, d’autre part, en cessant de donner du crédit à ce genre de comportement chez ses proches. Qui risquent, du coup, de ne plus être des proches.

On ne peut pas tout avoir, je suppose.

(Photo: Heather Hopkins via Flickr, sous licence Creative Commons, partage dans les mêmes conditions.)

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