On a coutume de dire que ceux qui savent font et ceux qui ne savent pas enseignent – ou théorisent. Manière de dire que la théorie, c’est sale. Il se trouve que moi, la théorie, j’aime bien ça, c’est pourquoi l’article Un manifeste pour le black metal : quand les musiques populaires se théorisent, signé Églantine de Boissieu et Catherine Guesde sur le site Sens public, a attiré mon attention. Non seulement parce qu’il parle de black-metal, mais aussi parce qu’il aborde un problème que je vois dans le jeu de rôle – et dans pas mal d’autres sujets, d’ailleurs.

La version TL;DR de l’article est la suivante: Hunter Hunt-Hendrix, un musicien américain de black-metal a écrit un manifeste, Transcendental Black Metal, dans lequel il cherche à démarquer le black-metal américain de ses racines nordiques en lui apposant notamment une philosophie plus positive. Les réactions ont été plus que virulentes, sur le fond, mais surtout sur la forme; visiblement, beaucoup de monde a eu du mal à avaler une théorisation de leur genre musical préféré avec des mots de plus de trois syllabes.

Ce qui est intéressant, c’est que je vois la même tendance dans le jeu de rôle – et pas plus tard que la semaine passée, avec un article de Romaric Briand (auteur de Sens, entre autres), intitulé Le système du jeu de rôle ? Une vraie question de fond. J’avoue avoir réagi un peu brutalement à l’article en question, principalement parce que j’ai trouvé dommage qu’un sujet aussi intéressant (la différence entre système de jeu et système de résolution) soit noyé dans une prose passablement indigeste et un formatage brutaliste.

À mon avis, la “théorisation” de sujets tels que le jeu de rôle, le black-metal, la science-fiction ou même le jeu vidéo – des hobbies – est quelque chose d’important et, souvent, d’intéressant. Pour ma part, comprendre les mécanismes sous-jacents et les implications sociales de ces activités me fascine. Le problème, c’est que comme toute théorie, il est extrêmement facile – tentant, même – de faire chiant.

Le jargon, l’usage de concepts venus d’autres champs théoriques (philosophie, sociologie, voire, pour les cas graves, neurosciences) sont tout autant des signes extérieurs de supériorité et des outils pour faire fuir les masses (forcément) ignorantes. Faites-moi confiance: je bosse avec des théologiens, je sais comment ça fonctionne: deux concepts abscons, trois mots de grec ancien (de préférence dans l’alphabet ad hoc), un océan de notes de bas de page et Ceux Qui Savent vous considèrent comme un des leurs pendant que les noobs sont repartis lire Mickey Magazine.

Sauf qu’après, on se plaint que le vulgus pecum (les noobs, quoi) ne connaissent rien à rien, et réciproquement. Bah oui ducon (c’est un ducon générique, hein? c’est pas pour toi, Romaric): tu balances des murs de texte, tu écris chiant, les gens ne lisent pas et tu passes pour un élitiste barbant. Alors oui, écrire des choses complexes de façon intéressante, ce n’est pas facile; c’est comme pour tout, ça s’apprend (je peux par exemple vous écrire un article chiant pour vous apprendre comment ne pas écrire un article chiant).

Par exemple, éviter d’écrire des gros pavés de paragraphe; résumer son propos dans l’introduction et, pour être clair, dans la conclusion également; si besoin est, diviser le propos en deux ou trois articles au lieu d’un gros morceau; ne pas hésiter à expliquer et à simplifier (en indiquant qu’on simplifie); donner des exemples, même par l’absurde. Ce genre de choses.

Nous vivons dans un monde qui est de plus en plus complexe et, surtout, de plus en plus connecté, ce qui fait que comprendre les choses complexes est de plus en plus crucial. Du coup, il y a une forte demande sur l’expertise et, partant, une tentation d’élitisme de plus en plus marquée où ceux qui savent gardent pour eux. Ce n’est pas une bonne nouvelle et ce serait bien si cette tendance, qui est déjà pénible sur des sujets importants (finance, santé), ne s’appliquait pas en plus à nos loisirs. Nous n’avons pas besoin de technocrates du jeu de rôle (ou du black-metal, d’ailleurs).

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