Texte également disponible en PDF et au format ePub. Dernière mise à jouer le 13 mai 2012.
Au commencement, il y avait une île. Après, il y a eu un starport, mais les choses sont un peu plus compliquées que cela.
OK, mauvais exemple : les choses sont toujours plus compliquées, surtout quand on doit gérer dix mille ans d’histoire, deux entités politiques et une situation géostratégique un peu volatile, avec des Eyldar, des Atlani et des Siyani.
Ah, et maintenant, de Terriens. Ne pas oublier les Terriens : d’abord, parce que ça les vexe, mais surtout parce que, pour donner des coups de pieds dans la fourmilière, ils sont très forts.
Perdu : navette ; forte récompense
– « Comment ça, vous avez perdu une navette ? »
Rasan a ses décibels des mauvais jours. Ceux à trois chiffres. Il faut dire aussi que le zozo qui lui fait face via liaison orbitale est une zozotte, qui plus est Terrienne. Rasan n’aime pas les Terriens.
Le capitaine Vanessa Dûnc a un uniforme d’une quelconque corporation de Singapore représentant une improbable bestiole stylisée sur fond de flèches, le tout souligné d’un logotype dont le dynamisme est inversement proportionnel à celle qui l’arbore.
Elle répète sur un ton qui se veut posé, mais qui sonne lourdement indolent :
– « C’est à vous de me le dire, seigneur Erandhil. » Rasan grince des dents, il déteste qu’on lui donne du grade. Il a aussi horreur qu’on le vouvoie, mais ça c’est comme tout le monde, vu que c’est la forme des esclaves, comme on dit. « La navette Blue Globe numéro trois, avec quarante-quatre passagers et trois membres d’équipage à son bord, n’a pas donné signe de vie depuis qu’elle a été prise en charge par vos services d’approche, il y a exactement cent quatre-vingt-sept minutes. »
C’est comme ça que moi, Eithen Talathin, responsable de la sécurité pour cette partie du starport d’Irrwisch, je me suis retrouvé dans ce bigntz.
Bon, soyons honnête, ça n’a pas été tout de suite un bigntz. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’égarer une navette, c’est la routine, mais ce n’est pas la première fois non plus. En général, ça implique un micmac administratif, avec quelqu’un qui n’a pas fait son travail et qui, par voie de conséquence, va perdre ses tympans prochainement, voire son poste.
Ou alors des pirates qui ont fait des bêtises. Sur Irrwisch, ce genre de cas n’est jamais à négliger.
***
En fait, le premier signe de gonade dans le potage, c’est quand la navette nous a sauté à la figure.
Quand je dis « sauté à la figure », c’est très littéralement : du badaboum de compétition, ça madame ! Bon, maintenant, j’en rigole, mais sur le moment, c’est moins drôle.
Encore que moi, je m’en suis sorti avec les oreilles qui sifflent et des cheveux frisés ; mon collègue Sßlafaz, qui était devant moi, a tout pris dans la physionomie. Et, même pour un Siyan, c’est-à-dire un reptiloïde de deux quintaux, c’est un tout petit peu fatal. La bonne nouvelle, pour lui, c’est que le passage par la case « clonage » est une option bien plus raisonnable que pour moi.
Espérons qu’il ne nous revienne pas Snivel, comme le précédent ! Les accidents génétiques, ça arrive et on a déjà beaucoup trop de maniaques comme ça dans notre service.
***
Rasan est venu me voir à la maison de soins, sur le continent. En théorie, je n’aurais même pas eu besoin d’y passer, mais c’est la procédure ; je ne me plains pas : le personnel est délicieux – dans tous les sens du terme. Comme Sa Seigneurerie (note : ne pas l’appeler comme ça en face, même si c’est son titre officiel) n’est pas du genre à exiger du rendement à tout crin, j’ai suspecté que ça avait chauffé.
– « Le problème, a-t-il expliqué, ce n’est pas les touristes qui sont sur le manifeste de bord, c’est le groupe d’agents highlanders qui se faisaient passer pour six d’entre eux. Ça, plus le cadavre qui était dans l’épave de la navette et qui ne correspond à aucun des passagers. »
Si j’avais su, je me serais fait porter pâle plus longtemps.
Coopération internationale
La réunion qui fait suite, le lendemain, a lieu dans la salle de conférence de Rasan, frappée du monogramme du clan Erandhil. Le fait que ce ne soit pas dans ses propres quartiers signifie deux choses : d’une, pas de sexe ; de deux, des invités. Je me prépare en conséquence : chemise, un vrai pantalon, la tunique « officielle » de ma fonction (c’est-à-dire marquée du même monogramme ; la fonction est un peu liée au clan, et réciproquement) et des sandales raisonnablement récentes. Je noue également mes cheveux noirs en queue de cheval ; ça fait plus sérieux, il paraît.
Les invités sont des invitées. Je reconnais la commandante du vaisseau de Singapore ; elle est plus jolie en vrai, malgré un air ultra-sérieux qui lui durcit les traits. Son uniforme impeccable et immaculé lui donne une prestance qui rehausse un peu sa taille microscopique et sa carrure de moustique. Elle compense par une poignée de main digne d’une presse hydraulique.
L’invitée numéro deux semble plus jeune ; type africain très marqué, ce qui est assez rare sur Terre et encore plus dans ces parages. Elle a une peau très noire et des cheveux improbablement blonds, coiffés en une natte de nattes, un machin qui a l’air abominablement compliqué à faire. Elle porte un uniforme gris anthracite rehaussé de vert, avec un nombre suspectement faible de fanfreluches. Je connais un peu les Highlanders : en général, moins il y a de décorations sur leurs uniformes, plus ils sont importants ou dans une branche secrète – ou les deux.
Elle est assise dans une posture faussement décontractée et me jette un regard qui me rend immédiatement très nerveux. J’essaie de le lui rendre, mais elle se désintéresse de ma personne presque immédiatement ; ça ne fait rien pour me rassurer. Rasan la regarde avec un mélange d’anxiété et de jalousie professionnelle. Je parviens tout de même à lire, en passant, sa plaque nominale : Sisekelu Clearsight, génotype L.
Je lève un sourcil : si je ne me trompe, c’est un type tout récent ; ça m’étonnerait qu’elle soit née avec. Ça expliquerait que, physiquement, elle ait l’air aussi peu métissée.
Nous avons droit à un résumé de la situation. Vous avez vu le début, je vous en fais grâce, ce d’autant plus que c’est la variante « présentation monomédia » via ce qui doit être le logiciel officiel des flottes marchandes highlander. Au bout de dix minutes, j’ai envie de me ronger la jambe et de m’enfuir, mais comme c’est le moment que choisit Rasan pour me demander ma version, j’évite les traces de dents sur mon mollet.
J’explique notre enquête. Là encore, je vous passe les détails : les enquêtes dans les tréfonds du starport ont tout le côté sexy du nettoyage d’un garde-manger oublié pendant une ou deux saisons. Ça implique tout autant de vermine, d’odeurs pas racontables et de trucs dont on ignorait jusqu’à l’existence, sans même parler de la comestibilité.
Il faut vous dire que la Taupinière – surnom officiel de notre bien aimé starport – s’apparente en fait beaucoup à un empilement de structures. Les archives officielles parlent d’au moins huit constructions différentes, mais elles ne couvrent pas l’intégralité des dix millénaires d’occupation du site ; les archives officieuses en comptent trente et beaucoup de gens pensent qu’elles en omettent – volontairement ou pas.
Du coup, le plus récent a été construit à l’autre bout de l’île au moment de l’indépendance de notre Conseil communautaire autonome (le machin qui gère la moitié de la planète), il y a un peu moins de deux cents ans – autant dire hier – grâce à des capitaux dont personne n’a vraiment envie de savoir la provenance ; il est surtout géré par nos voisins des Guildes marchandes siyansk (qui gèrent l’autre moitié). Je vous avais prévenu, c’est compliqué.
Ça semble d’ailleurs un peu trop compliqué pour la Dame en Gris, sur le visage de laquelle je crois lire un soupçon de lassitude. Pas trop le temps d’y penser, je dois essuyer une rafale de questions de la part de la capitaine, qui me fait douter (dans l’ordre) de sa compétence, de sa compréhension de l’anglais galactique et de son intelligence générale. Je répète donc une seconde fois mon rapport en essayant d’utiliser des mots moins compliqués et en articulant bien. Après cinq réponses de ce calibre, soit elle n’a plus de question, soit elle a compris que je l’insulte.
Rasan se lève et adopte son ton « c’est moi le chef » :
– « Bien. Pour tirer cette affaire au clair, l’Autorité portuaire conjointe d’Irrwisch accepte, par ma voix de Seigneur coordinateur, l’adjonction de l’agent Sisekelu Clearsight à l’enquête en cours, selon un mandat de coopération judiciaire comme défini dans l’annexe quatorze. » Il appose sa clé d’indentification sur un écran holographique, la Singaporienne fait de même.
J’aimerais avoir l’air étonné.
Environ douze secondes après cette déclaration, Rasan et la capitaine évacuent les lieux. Comme il lui donne du Vanessa long comme le bras (pour rester poli), je suppose ça va se conclure dans ses appartement personnels, avec beaucoup moins d’uniforme et beaucoup plus d’huiles parfumées.
Le temps de tourner la tête vers l’agent Clearsight, je la retrouve à trente centimètres de mon visage. Elle fait à peu près ma taille (si l’on excepte qu’elle doit me rendre dix kilos de muscle), des traits fins, des yeux magnifiques et un sourire qu’elle a dû commander sur Fantir tellement il est faux. Je sais par expérience que j’ai un regard, vert intense, assez difficile à soutenir ; ça n’a pas l’air de trop l’impressionner.
– « Alors, agent Talathin, vous compter m’expliquer ou on baise d’abord ? »
Aïe. Question tentante, mais vouvoiement. Mauvais point. Pas très étonnant, mais agaçant quand même. Je respire un grand coup avant de répondre.
– « Je t’explique, Sisekelu. Moi, c’est Eithen, mais tu peux m’appeler Sen. D’ailleurs, je ne suis pas “agent” non plus. Et si tu ne veux pas insulter tous tes interlocuteurs sur cette planète en sous-entendant que ce sont des esclavagistes, je te conseille d’adopter le tutoiement. »
Elle hoche la tête, l’air sérieux. Presque contrite. J’y croirais presque, mais ses pensées superficielles racontent une autre histoire : elle me teste.
– « D’accord. Sise sera plus simple. »
J’approuve. « Première fois sur Irrwisch ?
– Première fois hors de Terre, à vrai dire. » Je hoche la tête à mon tour et je m’abstiens de lui répondre que ça c’est vu. Ne jamais décourager les tendances à la franchise, surtout si elles semblent assez peu naturelles.
– « Bien, prends tes affaires, on va visiter. »
Visite touristique
Ma nouvelle copine – comme l’ont conclu un peu tous mes interlocuteurs sur le chemin – a droit à la grande visite touristique.
Ça nous prend la journée et ça couvre à peu près cinq pour-cent de la surface totale de la Taupinière. Une grande partie du reste se compose de gaines techniques qui n’intéressent personne (pas même l’équipe d’entretien, qui délègue à des systèmes autonomes) et des endroits abandonnés depuis tellement longtemps que peu de monde ne s’y hasarde.
J’ai passé un peu toute mon enfance d’Eylda (enfin, d’Ataneylda, mais on ne va pas pinailler sur les virgules) – c’est à dire pas loin de cinquante ans – à explorer toutes ces coursives, ces places publiques, ces pièces oubliées. Maman administratrice des services techniques, c’était le terrain de jeu idéal. Mon père, un Terrien un peu naïf, avait déjà quitté les lieux depuis longtemps ; il n’a appris que bien plus tard qu’il avait laissé derrière lui deux gamins et ça l’a mortifié, même si ma sœur et moi n’avons pas vraiment manqué de pères.
Bref, moi ça m’amuse beaucoup, mais j’ai rapidement l’impression que Sise, moins. Elle affiche un intérêt poli dans le nouveau terminal planétaire, qui accueille la plus grande partie du trafic. Quand on passe dans le Domaine Warkaran, grand parc semi-enterré avec son grand marché clanique permanent, elle se renfrogne un chouïa, surtout quand il devient évident que je connais personnellement une bonne moitié des permanents du lot, notamment ceux qui vendent du comestible.
C’est quand même un peu mon fond de commerce : je ne suis pas doué en combat, pas particulièrement observateur et n’ai aucune patience avec les sciences légales, mais je connais mon starport et son peuple. Ça, plus mes petits talents mentaux.
À la mi-journée, le refus est sec lorsque je lui propose de déguster des fruits de mer dans le secteur siyansk. Elle refuse également les fourmis grillées au miel (objectivement, celles de Copacabana sont meilleures ; les espèces autochtones sont fades), les citrons confits à la moutarde et le café froid pimenté. J’hésite à lui proposer le kébab de la mère Sirkis, je ne suis pas sûr que même son estomac highlander y survive.
Son humeur s’assombrit au fur et à mesure qu’on descend dans les strates et elle fait carrément la gueule quand on finit la journée dans la Maison des cendres, une des dernières maisons de voyageurs encore en activité à ce niveau. Si l’on excepte le dôme, depuis longtemps noirci et recouvert, on pourrait se croire au début de l’Arlauriëntur, il y a plus de dix mille ans : serviteurs discrets et stylés dans de légères tuniques en edisian bleu pâle, vieilles pierres polies par les ans, mobilier extravagant en bois précieux, éclairage au braséro au bord des bassins à l’aspect semi-naturel.
Le temps d’embrasser Ilian, la maîtresse des lieux (et accessoirement une cousine, ce qui me vaut toujours un traitement de faveur quand je visite), je me débarrasse de mes frusques et pique une tête dans le bassin principal, avant d’inviter Sise à faire de même. Sous sa rogne, elle a l’air fourbue ; si elle avait suivi mon exemple et grignoté ce qu’elle pouvait quand elle le pouvait, elle serait sans toute plus pimpante.
Elle me lâche un misérable « je suis encore en service », ce à quoi je réponds, impitoyable, que moi aussi.
***
Comme je ne suis pas totalement fourbe, j’ai commandé un buffet séparé et je passe la jupe que m’amène un des serviteurs avant de rejoindre une Highlander qui réussit l’exploit d’être très rouge en même temps que très noire. J’attends qu’elle ait repris des couleurs plus naturelles et des forces avant de passer aux choses sérieuses :
– « Lithieren, la Maison des cendres, où nous sommes est un des points les plus anciens encore habités du starport. La navette était parquée dans un entrepôt encore plus ancien, deux niveaux plus bas. » Je lui vote un sourire. « Je ne t’ai pas seulement amené ici pour la nourriture et le service. »
Elle me le rend d’assez bonne grâce. « Aucune sécurité, je suppose.
– En effet. Techniquement, ce dock n’existe plus depuis au moins cinq mille ans. À l’époque, on n’avait pas trop l’habitude de la surveillance électronique. » Maintenant non plus, d’ailleurs.
– « Donc, personne n’a vu ce qui s’est passé ?
– Personne, mais ça ne veut pas dire qu’on ne le sait pas. »
Elle interrompt le déchiquetage systématique de la cuisse de canard qu’elle avait entamé pour me jeter un regard inquisiteur. Je poursuis : « Je viens de recevoir un rapport des techniciens qui ont suivi l’équipe de nettoyage. Ils n’ont noté qu’une seule trace passage : vers la navette et une seule personne.
– Le cadavre ?
– En personne. Je peux me tromper, mais je parierais sur un Crabe.
– Un gang local, je suppose ? » Moins bête qu’elle n’en a l’air. J’acquiesce.
– « Quelque chose comme ça. Spécialisé dans la récupération d’épaves, même si ça implique parfois de les créer au préalable. » Elle lève un sourcil, pendant que j’emballe le quartier d’orange dans un lambeau de viande, avant de le tremper successivement dans la sauce au café et le gingembre en poudre. Du coup, je ne sais pas trop si cette mimique s’adresse à mes habitudes culinaires ou sur les pratiques criminelles locales, alors je poursuis : « Il y a six ans, une navette orbitale s’est perdue dans la tempête. On a retrouvé les passagers et l’équipage indemnes, le lendemain, et les pièces de la navette étaient déjà sur le marché, pour la plupart déjà réservées. Ce sont des pillards, mais pas des meurtriers.
– Donc on ne sait toujours pas où la navette a atterri en premier et ce qu’il est advenu des passagers.
– Non. Mais ça pose d’autres questions, comme par exemple de savoir comment elle a pu arriver jusqu’ici sans être repérée.
– Un problème dans vos dispositifs de détection, peut-être ? » Si la question avait des propriétés chimiques, elle aurait un pH à deux chiffres. Si jeune et déjà caustique… J’active mon bracelet-communicateur, repère le fichier – que je sais lui avoir déjà remis – et je le lui envoie d’une chiquenaude virtuelle.
– « Déjà vérifié. Nos détecteurs en ont perdu la trace en orbite, en même temps que ceux de ton Starwide Phoenix machin-truc.
– Galactic Endeavor », corrige-t-elle. Je me retiens de répondre « à tes souhaits » ; les noms pompeux – du genre « Clearsight », dont les Highlanders adorent s’affubler dès qu’ils ont reçu leurs améliorations génétiques, histoire de montrer qu’ils sont une nouvelle personne – m’agacent au plus haut point.
Je n’ai jamais compris ce concept de nationalisme terrien, qui substitue les constructions politiques aux structures familiales. J’en connais intellectuellement les raisons (je les ai étudiées à l’université d’Ardanya et mises en pratique pendant mes années de milicien dans les Cités franches d’Eridia) mais, culturellement, ça me dépasse un peu.
– « Et ceux du Rentelian ?
– Que quoi ? » Je réagis avec un temps de retard, tout à mes ruminations sur les différences culturelles.
Elle pointe le nom d’un cargo indépendant, arrivé dans le même créneau horaire. « Vous… tu as vérifié les détecteurs de ce vaisseau ?
– Pas moi personnellement. » J’étais dans une fort confortable chambre de soins à ce moment. « Mais peut-être mes collègues… »
À mon tour de froncer le sourcil ; si la joyeuse bande de parasites qui me seconde a interrogé l’équipage ou les logs du cargo, ils ne l’ont pas marqué dans le rapport. J’appelle rapidement Kaenar, qui me confirme que non, ils n’y ont pas pensé. Je questionne dans le désordre ses compétences, son hérédité et ses habitudes alimentaires, ce à quoi il répond qu’il mangerait plus sainement si je n’avais pas des pratiques douteuses avec le bétail des environs ; on se quitte en rigolant, ce qui semble mystifier Sise.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qui semble la mystifier, si j’en juge par ses coups d’œil sur ma personne pendant que je me rhabille. Quand elle a fini de remettre ses bottines – seule concession à l’informalité qu’elle a daigné faire – elle ose enfin la question :
– « Euh, Sen… tu es… enfin, homme ou femme ?
– C’est important ? »
Comme elle se tait et pique un fard, j’en déduis que oui, mais je ne réponds qu’avec un sourire.
Suivez l’ingénieur
Il est tard, mais je ne suis pas réellement fatigué. Bon, d’accord, je suis aussi un peu vexé que mes gentils camarades aient raté un élément de l’enquête aussi capital. J’imagine que me savoir en maison de soins et Sßlafaz éparpillé façon crépi de lézard a dû un peu les secouer, mais même si je les traite régulièrement de feignasses, ils m’ont habitué à mieux.
Consultation express des registres : le Rentelian est dans un des docks sous-marins réservés pour les plus gros vaisseaux. On ne les utilise pas souvent, parce que les gros vaisseaux ont rarement des capacités de vol atmosphérique, vu le prix que ça coûte.
Je retraverse la Maison des cendres, d’une part pour saluer la cousine et aussi pour prendre la galerie qui part de l’arrière du domaine pour rejoindre une gaine technique qui amène au dock en question ; ça nous fait pas mal crapahuter à pied, mais c’est plus court (et plus discret) que les couloirs officiels.
Arrivés sur place, un coup d’œil sur le Rentelian confirme un noir soupçon que j’avais en regardant la fiche de l’engin : soit c’est un indépendant très paranoïaque, soit c’est ce que les Terriens appellent un Q-Ship : un vaisseau de guerre camouflé. Aïe ! J’aurais dû prévoir quelque chose d’un peu plus conséquent que mon Kerbenathan de service : si l’équipage est d’humeur joueuse, un bête pistolet, même à accélération magnétique, ça risque d’être léger (ne parlons pas du neutralisateur).
Coup de bol, je tombe sur un officier de quart plutôt sympa : une de ces Ataneylwyn de clan stellaire avec tellement d’hérédité karlan que Sise semble pâle à côté. Elle ne tique même pas sur l’uniforme de ma collègue. Sympa, mais à peu près inutile : elle prétend ne rien savoir, ce que je traduis avec un petit coup de sonde mentale par des ordres stricts de jouer les idiotes. J’obtiens quand même un nom : Antje Hemmerlan, l’ingé-com du vaisseau ; pas de bol, il est en permission. Pas grave : je devrais arriver à le faire repérer assez vite.
On repart vers les tubes de transfert. Sise fait la gueule. Dans la navette, je sors de ma besace des mocassins flexibles plus adaptés à notre destination et, pendant que je les passe, je lance à mon charmant vis-à-vis une douzaine de mimiques interrogatives avant qu’elle ne crache le morceau :
– « On a fait ce trajet pour rien, nous aurions tout aussi bien pu parler avec cet officier par communicateur !
– Peut-être, mais nous n’aurions pas vu qu’elle mentait. » Je lui laisse le « nous » comme échappatoire, mais elle choisit de l’ignorer.
– « Ah ?
– Ce vaisseau est louche. Cette fille est mignonne, mais louche aussi. À mon avis, le ci-devant Hemmerlan est tout aussi louche.
– Donc ? On l’interroge quand même ?
– Plutôt deux fois qu’une ! Et cette fois-ci, on va y aller un peu moins aimablement.
– D’accord ! »
Houla ! Je n’aime pas ce genre d’enthousiasme.
– « Correction : je l’interroge moins aimablement. Tu restes en arrière ; si tu as des questions, tu me le dis à moi. Pas à lui. »
L’enthousiasme retombe. Cette fille m’inquiète un peu, pour le coup.
***
Le central m’envoie les infos sur Hemmerlan au moment où le tube arrive à destination. Sans surprise, il n’est pas très loin, au Dead Man’s Hand, une cantina tenue par un ancien pirate texan reconverti dans la limonade et le poker. Il y a des bouges pires dans le secteur, notamment des où je suis persona très modérément grata, responsable de la sécurité ou pas. Pa Hudson m’a plutôt à la bonne.
Venez armé, l’endroit est bondé. Deux Rowaans, humains massifs à tête de chien, sont en train de se mettre sur la truffe en rigolant, sous les encouragements d’un groupe que je suppose être de la Dame de fer, pendant que le reste de la clientèle ingurgite bière et bourbon de synthèse tout en tapant le carton. Pa me fait un signe discret, je lui réponds par un code mental que c’est professionnel, mais rien de majeur.
Je suis un peu brusquement interrompu par un coude fort pointu dans le creux des reins, suivi par un très militaire « À deux heures ». Grâce à mes dix ans dans les Cités franches d’Eridia, j’ai assez de culture terrienne pour savoir où regarder ; un bon point pour l’agent Clearsight, qui n’a pour le coup pas volé son patronyme tout neuf.
L’ingénieur est à une table de poker avec une demi-douzaine d’autres affreux. En vrai, il fait moins gros bébé et plus pilier de rugby, ou lutteur de foire ; il a le crâne rasé orné d’un méchant tatouage tribal. Ses camarades de jeu sont au même format et, du coup, je me sens un peu léger. Je me concentre un instant et je le sens inquiet. Je sens aussi qu’il me sent ; c’est bien ma veine : un empathe !
En trois secondes, je vois une table de poker et tout son contenu qui vole dans ma direction. Pas assez vite pour m’atteindre, mais niveau diversion, c’est réussi : la manœuvre met un souk invraisemblable dans mes parages immédiats.
Je n’ai pas le temps de dire ouf ou quoi que ce soit d’autre que Sise saute sur le bar et commence à courser Hemmerlan, qui se dirige vers la sortie arrière. Inutile d’essayer de les suivre : toute la zone entre eux et moi est devenu un exercice de style sur le thème de l’entropie appliqué à un débit de boisson et Pa Hudson commence à déployer son neutralisateur lourd.
Pas trop le temps de se coordonner, d’ailleurs il aurait fallu y penser avant. De toute façon, je sais où ils vont. Je me fraie un chemin à travers la foule qui reflue vers la sortie – bon, vu mon gabarit, je me fais surtout porter par elle. Une fois dehors, je file vers la ruelle où débouche la porte de service.
J’y arrive pile pour voir trois malabars remplir Hemmerlan de plomb ; ça fait tchouf ! tchouf ! tchouf !, une bastos chacun et l’ingénieur vole dans les poubelles, accompagné d’une gerbe de sang suffisamment conséquente pour que mon cerveau enregistre machinalement que ce n’était sans doute pas de la munition conventionnelle.
La mauvaise nouvelle, c’est que quand ils se retournent, ils me voient. Ils sont trois, je suis tout seul avec mon malheureux Kerbenathan, que j’ai à peine le temps de lever avant de voir la bouche à feu de leurs obusiers de marine se pointer vers moi.
Ça va faire mal.
C’est à ce moment que la porte de service s’ouvre en grand avec un grand bang ! qui me laisse penser un instant que c’en est fini de ma précieuse personne. En lieu et place, j’ai droit à un festival de Sise : roulé-boulé, flingue à la main ; les trois olibrius se retournent, machinalement. Mauvaise idée : elle a le temps d’enregistrer qu’ils sont armés et tire avant eux. Ma doué cette précision : les trois tirs de son Radiant touchent les fâcheux en pleine caboche ! Quelques mégajoules sur une surface d’un demi-millimètre carré plus tard, le trio est mort avant de toucher le sol.
Je vais avoir des traits rouges imprimés sur la rétine pendant des heures après ce coup-là, mais c’est pas cher payé.
***
Une heure plus tard, la milice régulière évacue le Dead Man’s Hand, y compris les quatre cadavres de l’allée et la trentaine de neutralisés. Pa Hudson parle de record personnel, mais je l’ai déjà vu faire mieux. Il a posé devant nous deux verres, d’autorité. Sa réserve personnelle : du naturel, importé d’une distillerie texane installée sur Eridia.
Du bon. J’en ai besoin.
Sise regarde le sien avec beaucoup plus de circonspection. « Qui étaient ces trois tueurs, et pourquoi éliminer l’ingénieur ?
– Mes collègues m’ont rapporté que, d’après le Rentelian, tous leurs logs ont été effacés par Antje avant sa permission. Du coup, il était le dernier à savoir ce qui s’est réellement passé.
– Tu les crois ? » Je pars du principe qu’elle parle de l’équipage du cargo. Ce n’est pas le bon moment de s’engueuler.
– « Moyen, mais ça ne change rien au problème. On pourrait investir le vaisseau, mais ça risque de faire du grabuge et j’ai eu ma dose pour la journée. »
Elle hoche la tête, tout en continuant à tripoter son verre sans y toucher.
– « Tu ne bois pas ?
– Euh, je… je ne bois pas d’alcool. Dans ma famille… »
Je la coupe : « Bois, c’est bon pour ce que tu as ! »
Elle boit. Elle a un petit hoquet et s’effondre à terre. Trois secondes après, elle ronfle.
Voilà autre chose.
Nous voulons des informations
Le soleil est déjà levé depuis longtemps quand elle émerge, elle rabat les draps sur sa tête en marmonnant des choses peu aimables sur la planète. Puis, il y a une seconde de pause. Puis quelque chose comme : « Aaaah ! Où suis-je ? Où est mon uniforme ? Où est mon arme ? Qui m’a déshabillée ? Pourquoi j’ai mal à la tête ? Qui êtes-vous ? Ah, c’est toi… »
Mais très vite et avec beaucoup trop de décibels pour sa propre gueule de bois.
Je rigole et je lui apporte le grand verre d’eau que j’avais préparé depuis un petit moment. Du coup, il est chambré, mais ce n’est pas grave.
Je m’assois au bord du lit. Comme je ne suis vêtu que d’une chemise très légère, elle s’emballe dans le drap et recule à l’opposé du lit. Elle a beaucoup de mal à me regarder dans les yeux, mais elle prend quand même le verre et boit. J’en profite pour répondre :
– « Tu es chez moi, je t’ai amenée là quand tu es tombée dans les pommes. J’avais quelque peu surestimé la tolérance à l’alcool des Humains highlanders. » Je m’abstiens de lui dire que, même pour moi, le bourbon spécial de Pa, c’est du raide. « Ton uniforme et ton arme sont posés sur le coussin là-bas. » Je lis la détresse dans ses yeux quand elle s’aperçoit qu’elle ne peut pas l’atteindre depuis le lit.
– « C’est toi qui m’a, euh…
– Déshabillée ? Ben oui, je n’allais pas te laisser dormir dans cet uniforme, tout de même.
– Mais…
– Mais il ne t’est rien arrivé d’autre, je te rassure. Ce n’est d’une part pas mon genre de profiter des beautés évanouies et, d’autre part je ne couche pas avec des partenaires en qui je n’ai pas confiance. »
La remarque la douche un peu. « Tu n’as pas confiance en moi ?
– Pas encore. Mais sauve-moi la vie encore une fois ou deux et on reparlera. »
À ce moment, je suis à cinq centimètres de ses lèvres et je peux presque goûter son trouble. J’adore ça.
Heureusement pour elle (mais pas pour moi), nous sommes interrompus par ma sœur, qui nous amène à manger. Nous échangeons quelques commentaires en eyldarin à base de sous-entendus grivois (ma chère Endil a un faible pour les peaux sombres) ; si j’en juge par la tête de Sise, elle en comprend assez pour piquer de nouveau un fard. Le fait qu’Endil n’ait pas juger bon de s’habiller (et qu’elle me ressemble beaucoup, ce qui est un peu normal pour une jumelle), n’aide pas.
Par pitié, j’adresse une requête mentale au reste de la maisonnée de ne pas nous rejoindre pour le déjeuner.
***
Une petite heure plus tard, je dépose Sise à sa chambre d’hôtel pour qu’elle puisse récupérer ses affaires et faire un brin de toilette. Elle a bien évidemment refusé de prendre une douche dans la salle d’eau collective. Ni d’utiliser les latrines (collectives aussi). On convient de se contacter dans la journée : j’ai à faire et, prétend-elle, elle aussi. Ça me va.
Retour à la centrale. Je n’y ai pas posé un orteil que j’ai déjà droit à un savon de la taille d’un minéralier siyansk de la part de Rasan, rapport aux frasques de la nuit. Les Administrateurs sont pour une fois d’accord pour dire que quatre cadavres en une seule soirée, c’est trop, surtout quand un agent highlander s’adjuge les trois-quarts du tableau de chasse.
Je laisse passer l’orage et rappelle, à tout hasard, que si Sise n’avait pas été là, Sa Seigneurerie aurait l’immense joie de se choisir un nouveau chef de la sécurité avec la même tolérance pour ses humeurs de chien. On enchaîne sur le couplet des gens irremplaçables qui ne le sont pas, pour le plus grand plaisir du reste du bureau, qui adore autant le théâtre que les excuses pour ne pas bosser. Pour finir, Rasan et moi passons sur sa terrasse pour discuter plus calmement.
De Sise, justement. Il me passe un dossier qui, si j’en juge par les codes de transit, est passé entre autres par Trian. Ça ne m’étonne pas : Rasan et moi sommes de deux clans distincts, mais alliés (c’est d’ailleurs un peu pour cela que j’ai le job) et je sais que le sien a pas mal de contacts sur Trian et, notamment, dans la zone ex-highlander.
Sans surprise, elle a fait des études de droit et de sociologie à Kinshasa, puis l’académie de police de Dakar, dans le cadre des habituelles bourses militaires. Du coup, en paiement d’études, elle a été engagée dans un machin paramilitaire au nom improbable d’Agence de coopération pour la sécurité des routes commerciales, basé à Singapore mais financé par les joyeux drilles de Central City.
La chose étonnante dans son dossier est qu’il y a une réelle dichotomie entre ses résultats, très bons, et son rang actuel. Pour une nation qui se pique d’être une pure méritocratie, la Fédération des hautes-terres aurait pu faire mieux que de la coller simple agent d’une officine obscure sur des routes commerciales de second rang.
Le rapport conclut qu’elle vient d’une famille qui vit du côté de Djibouti, mal vue pour des « raisons idéologiques » (ça veut dire « religieuses », en général), ce qui expliquerait ses études de l’autre côté de l’Afrique, son récent traitement génétique et son changement de nom. Et son intolérance à l’alcool.
– « Ça doit lui faire tout drôle de se retrouver dans un tel micmac pour sa première mission. »
Rasan approuve, mais enchaîne : « Il y a d’ailleurs un truc bizarre à ce sujet : en toute logique, elle aurait dû être à bord de la navette, surtout s’il y avait d’autres agents.
– Si tu le dis. Je ne suis pas aussi au fait des pratiques highlanders.
Le sous-entendu est évident, mais ça le fait rire quand même. « Ce n’est pas ce que j’ai entendu dire.
– Détrompe-toi, je ne l’ai pas touchée. » Et comme il me regarde bizarrement, j’ajoute : « Je préfère la faire languir encore un peu.
– Y’a pas, depuis ta copine sur Eridia, la fréquentation des Terriens t’a rendu sadique. » Je rigole ; ma liaison passée avec une Parisienne pur sucre est un sujet de plaisanterie habituel.
– « Et en parlant de fréquentation, ça a donné quelque chose avec la capitaine de poche ?
– Beaucoup d’enthousiasme, peu d’imagination.
– Mais encore ?
– À mon avis, il y a un pataquès vraiment pas clair derrière cette histoire, mais non seulement elle ne sait pas quoi, je soupçonne qu’en plus elle a reçu l’ordre de me tomber dans les bras pour mieux contrôler l’enquête. Et, si ça se trouve, Sise aussi.
– J’en doute. »
Rasan se redresse soudainement et me rappelle qu’il fait plus de deux mètres tout en étant deux fois plus épais que moi. Même sans être télépathe, je peux percevoir sa question.
– « Ce n’est pas impossible, bien sûr, mais si ça avait vraiment été calculé, on m’aurait envoyé un beau blond. Elle me paraît un peu trop enthousiaste et naïve pour être suspecte.
– Tu l’as sondée ? »
Je ricane brièvement à l’allusion. « Un peu. Elle me paraît gravement perdue.
– Pas si perdue que ça hier soir…
– Justement. Elle n’a pris l’initiative que lorsque ça a commencé à bouger. Ses automatismes de flic, sans doute. Et encore, je suis à peu près certain que c’est la première fois qu’elle tuait quelqu’un.
– Ça m’arrangerait que ce soit la dernière.
– Oui, elle aussi je pense. »
***
Nous revenons dans le central et je fais le point avec le reste de l’équipe. Le Rentelian est sous séquestre provisoire, ce qui nous vaut des protestations de clans, heureusement suffisamment mineurs pour qu’on les ignore.
Kaenar a pu passer leurs barrières informatiques suffisamment longtemps pour constater l’effacement des logs, mais son oubli lui a donné des idées et il est en train de compiler toutes les données de trafic venant des agglomérations voisines pour tenter de reconstituer les minutes qui suivent la disparition du Blue Globe. Il veut se racheter, c’est bien.
Les trois tueurs sont arrivés par un vol commercial en provenance de Fantir, bien évidemment sous un faux nom. Youpi. Comme Irrwisch – enfin, l’Autorité planétaire d’Irrwisch, dont cette partie du starport dépend – n’est pas rattachée au Cepmes, nous n’avons pas un accès direct aux fichiers d’Interpol, mais Flitzossim a lancé des recherches par la route touristique ; ça prendra du temps, mais ça viendra.
Rien à dire sur Antje Hemmerlan, sinon qu’il a mangé trois balles expansives tirées d’une variante américaine d’un Frontière 12.7 européen. Le légiste a conclu que, je cite, « le hamburger est mort sur le coup ».
Bref, les choses suivent leur cours, je décide donc de profiter de ce que Sise ne m’a pas contacté pour aller aux thermes avec la moitié de l’équipe qui finit son service. C’est bon d’être le chef !
***
J’aurais dû m’y attendre. C’est en plein milieu d’une séance de mets-ton-doigt-où-j’ai-mon-doigt avec Kaenar et Thyris (des douanes) que Sise se rappelle au bon souvenir de mon communicateur. Bien entendu, je l’ignore. Bien entendu, elle récidive dix minutes plus tard, alors que les deux précédents se liguent contre moi, avec l’aide de Tuomen, l’agent de liaison avec le continent.
Je profite que les trois s’amusent entre eux et ne prêtent plus trop attention à moi pour la rappeler, avant qu’elle ne réessaye à un moment réellement gênant (quand je mange, par exemple ; je déteste parler la bouche pleine). Elle est excitée comme une puce et, selon ce qui semble être son habitude, me jette à la face une phrase avec beaucoup trop de mots et pas assez d’espaces, mais dont il ressort qu’elle a appris des choses. Je lui dis donc de nous rejoindre, sans préciser qu’il s’agit des thermes. Rasan a raison : je suis sadique.
Il ne lui faut qu’une demi-heure pour arriver, ce qui m’étonne un peu. J’aurais parié sur dix minutes de plus, le temps de trouver le courage d’entrer, mais son enthousiasme semble avoir pris le pas sur ses tabous personnels. Ce n’est que quand elle nous découvre, tous les quatre sérieusement dénudés dans et autour d’un bassin qu’elle se rend compte de ce que « thermes » signifie dans un contexte atlano-eyldarin.
Elle reste au bord du bassin, la bouche ouverte.
– « Ah, Sise, tu nous rejoins ? Tu connais mes collègues : Kaenar, Tuomen et celle qui va faire surface dans dix secondes devant Tuomen, c’est Thyris. »
Elle n’a pas le temps de réagir que Thyris surgit hors de l’eau, lui attrape le bras et l’attire dans le bassin.
C’est donc une Sise entièrement mouillée, mais entièrement habillée qui nous explique ses trouvailles – après avoir fort civilement repoussée les avances de tous mes petits camarades. Elle est peut-être coincée, mais elle a du cran.
Je vous la fait courte, surtout parce que je n’ai pas tout compris, mais elle a passé la journée à analyser une quantité indécente de données et de rapports, tout en sirotant le café de l’hôtel (ce qui m’impressionne presque autant que le reste). Elle a reporté un certain nombre d’incidents avec une synthèse de différents plans de la Taupinière ; je ne sais d’ailleurs pas où elle a trouvé certains des éléments, parce que personne d’entre nous ne les avait vus avant.
Il en ressort qu’à son avis, la navette n’a pu se poser que dans une ancienne annexe, qui appartient à une Guilde siyansk qui a perdu presque tous ses avoirs pendant les Guerres corporatives et qui a revendu l’endroit à un clan atalen de Prasidian, le clan Warkir, peu avant la destruction de la planète, il y a cinquante ans. Les autorités highlanders et Interpol soupçonnent que c’est un Clan de l’ombre, autrement dit du crime organisé.
C’est à ce moment que la recherche de Kaenar aboutit et nous livre une explication sur l’arrivée discrète de la navette : elle s’est cachée dans l’ombre du Rentelian. En d’autres termes, elle s’est glissée tellement près du cargo que leurs échos radars se sont confondus – vus du sol, en tous cas.
Sise a aussi découvert qu’Antje Hemmerlan s’appelait en fait Anto Simalang et avait passé quelques années dans la Légion étrangère highlander, avant de passer dans le civil. Or, les balles qui l’ont tué sont d’un modèle souvent employé par certaines unités de la Légion, celles spécialisées dans l’élimination directe.
Pour le coup, tout le monde décide d’un commun accord la fin du batifolage. L’uniforme de Sise est sec avant que je me sois rhabillé.
Cette fille m’épate.
Assaut sur un dock
Retour au bureau pour prévenir Rasan. Techniquement, il est déjà au courant du plus gros, puisque je lui ai envoyé une rapide note de synthèse le temps de me sécher. Cela dit, il est des choses qui ne se discutent que de vive voix. Et puis s’il faut passer à l’action, je préfère enfiler quelque chose de moins vaporeux.
Parmi tous les sympathiques gadgets auxquels nous avons droit, L’albatros est mon préféré : c’est un véhicule antigravité multirôles (transport, secours, mais aussi assaut) et qui est également amphibie. Je sonne donc le rappel des troupes de choc, soit une quinzaine de vétérans, je m’équipe et nous partons pour le dock perdu du clan Wartir. Le plus dur est de convaincre Rasan de ne pas venir avec nous.
Et d’empêcher le pilote de passer La charge des valkyries ; d’ailleurs, on n’y arrive pas.
***
L’Albatros s’amarre sur l’accès de service du dock ; je pars avec Sise et deux groupes de cinq, laissant le dernier en renfort, si nécessaire. C’est à peu près au moment où je me dis que ce serait mieux si je savais ce que j’ai en face qu’une grosse voix avec un accent roulant s’annonce dans le haut-parleur du sas :
– « Alors Sen, tu viens nous rendre une petite visite ? Ça tombe bien, j’ai à te causer.
– Qui c’est ?, demande Sise avec méfiance.
– Denis Dubreuil, le chef des Crabes. Enfin, un des chefs. » Un qui ne me tire pas dessus à vue. Enfin, pas toujours.
Je fais signe à ma soldatesque de se calmer et Dubreuil finit par apparaître, avec sa moustache en guidon de vélo, son marcel et ses bretelles. C’est son style ; on s’y fait.
– « Ô confrère, doucement avec les sulfateuses…
– Agent Sisekelu Clear–
– Je sais qui vous êtes, ma petite, mais sauf vot’respect, je suis venu pour causer au chef.
– Je t’écoute, Denis.
– Tu es au courant pour le petit Taran ?
– C’est celui que tu as envoyé au casse-pipe récupérer la navette singaporienne ?
– Tu me vexes, Sen. Je n’envoie pas les gens au casse-pipe, moi ! C’était un tuyau en or, cette navette, ça aurait dû être du tout cuit, mais les Légionnaires nous ont doublé et, depuis, ils squattent.
– Je vois. Ils squattent le dock Wartir.
– Si fait, mon prince ! Ils se sont retranchés dans la seule partie au sec et je ne sais pas trop ce qu’ils mitonnent, mais ça n’a pas l’air propre.
– Pas propre genre ? »
Denis s’arrête, regarde à gauche et à droite.
– « Genre matériel médical, mon gars. Ça ne sent pas bon, je te dis… »
***
Je renvoie Denis expliquer la configuration des lieux aux chefs tactiques de mes groupes, ce qui me laisse seul un instant avec Sise. Si ce qu’il dit est vrai, je confirme : ça craint ; le problème…
– « Tu en penses quoi ? Tu as pu le sonder ? »
J’en manque de flinguer le plafond : « Que… quoi ? Tu… »
– « Oh, arrête, j’ai aussi lu ton dossier, je sais que tu as fait des études d’Arcaniste à l’université d’Ardanya.
– Je voulais devenir telandil… »
Elle éclate de rire. « Toi ? Escorte de grand luxe ? Mais bien sûr ! »
Du coup, je suis doublement vexé, d’une part parce que ne l’avais pas vu venir et, d’autre part, parce que je voulais vraiment devenir telandil. Enfin, jusqu’au moment où j’ai commencé la formation. Comme c’était beaucoup trop dur, je me suis plus concentré sur les Arcanes de l’esprit. Et même là, j’ai vite lâché la rampe.
– « Donc ?
– Donc non, je n’ai pas pu : Denis est naturellement immunisé. En plus, ce sagouin pense en basque et je n’y comprends juste rien. Mais ça me paraît bizarre. Un peu trop…
– Pratique ? »
J’approuve. On nous mène en bateau, en navette spatiale et en véhicule d’assaut antigrav. Le problème, c’est qu’à ce stade, on n’a pas beaucoup d’autres choix que de suivre le plan initial.
Pour une fois, je regrette l’absence de Rasan : malgré sa carrure d’athlète, le cousin est un boulet de première force pour tout ce qui est action, mais quand il s’agit de réfléchir, c’est une pointure.
***
Le sas secondaire est devant nous. Je fais le compte à rebours avec les doigts et, au signal de mon point fermé, l’énorme vantail d’acier vole vers l’intérieur de la pièce. Je fonce avec le premier groupe, Sise a la charge du second ; après sa séance d’hier soir, j’ai comme dans l’idée qu’elle est plus douée que moi dans ce numéro.
À peu près tout le monde est équipé de fusils QR, des petites merveilles multifonctions en provenance directe de la Fédération des hautes-terres (via au moins quatre planètes, deux stations spatiales et une entreprise d’import-export de produits d’hygiène) ; les consignes sont d’utiliser la fonction neutralisateur d’abord, mais si ça ne tombe pas tout de suite, on balance la purée (à base d’antimatière abâtardie). En général, il n’y a pas grand-chose qui résiste à un coup de fulgurant. D’ailleurs, les premiers zozos que l’on croise s’horizontalisent bien sagement.
En fait, tout va bien jusqu’à ce que nous arrivions dans le dock lui-même. L’espace principal contient une autre navette, visiblement du modèle « pirate ». Ça, c’est Mal !
J’ai tout juste le temps de m’aplatir derrière un muret pare-flammes, une des tourelles laser secondaires de l’engin balaie deux de mes hommes ; le premier est coupé en deux, volatilisé au-dessus de la ceinture, le deuxième ne prend « que » des débris en fusion, mais tombe au sol en hurlant. Le médic l’envoie illico au pays des songes avec une dose de tranquillisant pour tigre enragé.
Du coup, je n’ai plus que quatre troufions en état de marche et, en face de nous, cinq cents tonnes de méchanceté véhiculaire. Quand je disais que pas grand-chose ne résiste à un tir de fulgurant, il fallait comprendre « pas grand-chose de bipède » ; là, c’est autre chose. Déjà, s’il décide de fuir, ça va noyer la baie ; et s’il choisit de nous éliminer d’abord, il a sans doute la puissance de feu pour éplucher les superstructures, centimètre par centimètre. Dans tous les cas, on est très mal !
Un lourd grincement métallique se fait entendre. Du coup, je crains la première solution, mais ce que je vois est plus réjouissant : Sise a fait activer le pont roulant de la baie et l’utilise pour se positionner, elle et quatre de ses combattants, au-dessus de la navette.
Je crois avoir compris son plan. Il est débile, mais il a toutes les chances de fonctionner, surtout si on leur offre une bonne diversion. Je donne mes ordres : le doc et moi ouvrons le feu au fulgurant sur les tourelles ; vu le blindage du machin, je doute qu’on arrive à le chatouiller, mais on n’est jamais à l’abri d’un coup de chance. Pendant ce temps, le trio d’assaut restant ramasse les lance-roquettes, s’éparpille, puis balance la sauce, chacun son tour, depuis des positions séparées.
Ce genre de feu d’artifice en milieu clos n’est pas recommandé par les manuels, mais ça agace suffisamment nos petits camarades de jeu pour qu’ils ouvrent les sabords des lance-missiles. J’ai un bref frisson, avant que Kowper, un de mes survivants, ne parviennent à coller sa dernière roquette pile dans l’ouverture.
Comme diversion, c’est réussi ! L’arrière de la navette se soulève de deux bons mètres – ce qui manque d’ailleurs de faire chuter les commandos de Sise, posés sur le toit. Kowper vole en arrière et j’ai les oreilles qui sifflent, malgré les protections.
C’est le moment que choisit un des pirates, visiblement excédé par notre chance éhontée (ou par le manque de visette de ses artilleurs), pour ouvrir une écoutille de toit. Mauvaise pioche : il se retrouve face à Solène.
Solène est une Rowaan plutôt mignonne, employée en temps normal comme ingénieur antigrav, mais assez peu commode de nature et, qui plus est, qui réagit assez mal aux frustrations. Quand elle est dans les commandos, ça lui permet d’évacuer son stress. Du coup, le nouvel arrivant a à peine le temps de respirer qu’elle l’empoigne par le col et l’envoie dinguer en contrebas.
Le reste de l’équipage ne se rend compte qu’il y a un problème qu’au moment où Sise et son orchestre sautent dans l’écoutille.
***
Il faut lui laisser ça : Sise a bien retenu les consignes sur le thème « opération de police, ne pas génocider sans bonne raison ». La prise de la navette se fait avec un nombre somme toute très raisonnable de pertes adverses et seulement deux blessés chez nous (trois si on compte les deux coups de hache encaissés par Solène, mais elle assure que ce sont des égratignures).
La mauvaise nouvelle, c’est que Sise est l’une des deux. Elle a encaissé une décharge de fusil à pompe en plein buffet et si son uniforme highlander en a arrêté le plus gros, elle a quand même une quantité peu saine de chevrotine dans l’organisme et perd du sang. J’ai un peu la gorge nouée quand je demande au doc de gérer une évacuation sanitaire d’urgence et ce n’est pas l’avis médical pas du tout autorisé de Solène, du genre « petite blessure de rien du tout » qui me rassure.
Parlons d’autre chose. On ramasse l’énervé de l’écoutille, encore à peu près en vie malgré une quantité déraisonnable de fractures et qui s’avère être le capitaine. On récupère également leur cargaison, à savoir quarante-sept caissons cryogéniques, dûment occupés par nos Highlanders et Singaporiens perdus. Au moins ça.
Du trafic de personnes. Pas banal, même pour Irrwisch ; bon, pas inédit non plus, mais il faut faire très fort pour nous surprendre (même si je dois avouer que la contrebande d’illustrations sportives d’il y a deux ans m’a un peu scotché). Ça me turlupine quand même. Il y a un truc qui ne colle pas.
Par pur instinct, je passe un message à notre légiste, sur canal sécurisé, qu’il jette un œil sur la « cargaison ». Il n’aura qu’à prétendre que c’est pour raisons médicales, ça le changera de tripoter du vivant.
Je regarde autour de moi : les miliciens de la régulière ont pris le relais de mes troupes de choc et commencent à faire le tri des pirates survivants. Je me sens prodigieusement inutile, alors je lève le camp en réprimant très fort l’envie de faire un crochet par le rade de Pa Hudson.
D’un dock à l’autre
Je dois laisser ça à Rasan : il a des grandes paluches, mais il sait s’en servir et le massage qu’il m’administre dans ses appartements est du genre énergique, mais salutaire. Bon, sa liqueur de mûres – distillation personnelle, s’il vous plaît ! – aide aussi. Son œuvre terminée, il vient s’installer à côté de moi et se sert aussi un verre.
– « Compte tenu des circonstances, ça ne s’est pas si mal passé… »
Je lui jette un sale regard, peut-être même appuyé mentalement. « Trois morts et trois blessés dans nos rangs : tu te fous de ma gueule, cousin ?
– Compte tenu des circonstances, j’ai dit. Même avec vos armes antivéhiculaires, la navette avait la puissance de feu suffisante pour t’éparpiller en nanocouche sur tout le dock, toi et ta piétaille. »
Je le sais, mais ça ne m’aide pas.
Le vrombissement discret du communicateur à mon poignet interrompt mes ruminations. J’invoque un écran holo, message seul : Angel. Mon autre contact chez les Crabes. Il me confirme que, tout récemment, ce cher Dubreuil a touché le gros lot – suffisamment d’oseille pour déménager sa petite bande vers des ateliers tous neufs.
J’ignore le regard inquisiteur de Rasan et je me rhabille. Il finit par craquer le premier : « Du neuf ?
– Peut-être bien. Tu as toujours ton Dauphin ?
– Sûr, mais ce n’est pas un peu tard pour plonger ?
– Pas pour enquêter. »
***
Le lendemain, je suis à la maison de soins. Pas tôt : j’ai turbiné un bon bout de nuit avec le sous-marin de poche de Rasan. Et la plongée de nuit, c’est épuisant, surtout quand on essaye d’être discret.
Au retour, j’ai juste eu le temps de regarder le message du légiste et je me suis un peu effondré comme une grosse larve dans la salle de repos. Quatre heures de sommeil, une douche et un changement de linge plus tard, je me sens à peu près vivant et, sur le chemin, je passe au marché clanique.
Bref, maison de soins. Jartys, la dame des lieux m’autorise à aller voir Sise. Elle est consciente, assise dans sa couche, avec un pyjama que je vois bien faire partie de son uniforme officiel et qui cache assez mal d’assez impressionnants pansements.
– « Quel dommage d’abîmer si belle plastique ! »
La pique est classique, mais Sise n’est pas assez cynique pour qu’elle ne fasse pas son petit effet sur elle. Le rouge lui monte de nouveau aux joues, mais elle répond sur un ton plus amusé que gêné : « Oui, et en plus, les médecins m’ont formellement interdit la bagatelle jusqu’à nouvel avis. »
J’en ris ; elle moins, parce que ça lui fait encore mal.
Je m’assois au bord de sa couche et je sors de ma poche le bracelet en or, cuivre et acier que je viens d’acheter ; je le lui passe au poignet, en gardant sa main dans la mienne peut-être un peu plus longtemps que nécessaire.
– « C’est… magnifique, mais… pourquoi ?
– Disons que c’est pour te remercier de m’avoir sauvé la vie une deuxième fois. Une marque de… confiance ? »
En ce disant, je me suis rapproché d’elle sans qu’elle cherche à s’éloigner.
– « Je vois », souffle-t-elle juste avant que mes lèvres ne touchent les siennes.
– « Ahem. »
L’instant vole en éclat, pulvérisé par la présence de trois uniformes highlanders autour d’une civière antigrav. Un grand blond avec un sourire enjôleur précède deux officiers médicaux. Il avance vers moi et me sert la main avec enthousiasme et une chaleur presque naturelle ; je lui rends une poigne de mollusque mort.
– « Lieutenant Ovidio Sanclara, Ve flotte. J’ai reçu l’ordre de procéder à l’évacuation sanitaire de l’agent Clearsight. Vous devez être Eithen Talathin ? J’ai beaucoup entendu parler de vous. »
Je marmonne que oui, merci, faites et bon voyage ; je suis tellement dans les vapes que je remarque à peine qu’il me drague – malgré un regard furibard de Sise. À preuve : je ne lui demande même pas s’il sait où diner ce soir. Pas que ce soit nécessaire, d’ailleurs : d’une part, il fait toute la conversation à lui seul et, d’autre part, il doit repartir au plus vite. D’ailleurs, la vedette sanitaire est posée devant la maison de soin.
Je regarde le petit vaisseau décoller en silence en me demandant s’il existe quelque part dans la Sphère quelqu’un qui a l’air plus con que moi en ce moment.
***
– « Donc, tu n’as pas eu le temps de lui dire ? » Sur sa terrasse personnelle, Rasan me verse une énième coupe de vin ; si je ne le connaissais pas mieux, je jurerais qu’il veut me mettre dans son lit (comme je le connais mieux que ça, je sais qu’il sait qu’il n’a pas besoin de me saouler pour cela).
– « Je ne sais même pas si je le lui aurais dit. “Ah, au fait, Sise, les personnes dans les caissons sont des clones récemment activés et vos disparus ont investi un ancien dock désaffecté, racheté aux Crabes, pour y installer une base secrète.” Ça fait sérieux, je te jure ! »
Il éclate de rire et regarde avec moi l’activité de l’autre starport, le grand truc moderne avec ses arches élégantes et son trafic perpétuel, si proche et pourtant si lointain de notre antique structure en pierres, bois et toiles, que l’on reconstruit régulièrement. On reste ainsi, côte à côte, en silence, avec le vent comme seul vêtement.
– « Dis donc, cousin, je me trompe ou tu es en train de tomber amoureux de ta beauté OGM ? »
C’est à mon tour de rougir, tiens ; c’est rare, alors Rasan en profite. Je ne sais pas trop quoi lui répondre. Peut-être que oui, en fait. À moins que je ne sois juste intéressé que par son côté oie blanche ? Suis-je un sale pervers ou un incorrigible romantique ? Probablement les deux. Comme il n’aime pas trop les silences, il reprend :
– « Tu veux que je te raconte un autre truc qui fait sérieux ? »
Je le regarde et il poursuit : « La vedette médicalisée qui est arrivée ce matin ne venait pas du vaisseau.
– Le Phoenix coin-coin-pouët ?
– Non. Il est sorti directement d’hyperespace. »
Je le regarde sans trop comprendre avant que ça me frappe, juste au moment où il ouvre la bouche pour me l’expliquer : la base highlander la plus proche est à au moins une semaine de voyage. Aucun vaisseau n’aurait pu apprendre aussi rapidement que Sise était blessée et faire le trajet, à moins que…
– « Il y a un vaisseau pas loin d’ici qui suit toute l’affaire !
– Ah, quand même !
– Mais pourquoi ? Je veux bien que les Highlanders soient têtus au-delà du raisonnable, mais ils ne vont quand même pas tenter une énième invasion d’Irrwisch ? À chaque fois, la moitié de la Coalition mercenaire leur tombe sur le râble et on retrouve des bouts de flotte dans tout le système stellaire.
– Ça, c’est la question qui vaut son poids en mallin. » Il n’en dit pas plus et s’abîme dans la contemplation de son verre.
Je le laisse à son nectar et je rejoins le reste de la fête qui bat son plein dans la résidence. Ça tombe bien, j’ai besoin de me vider la tête.
Pour rester poli.
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Désolé d’être pénible mais ce serait possible en version Epub pour les liseuses ?
Merci d’avance, j’ai lu un peu ça a l’air sympa
Je croyais que les liseuses pouvaient gérer le PDF. Bon, tant pis.
Je vais voir demain si le programme que j’ai ramassé peut cracher de l’ePub un peu lisible (il n’aime pas les en-têtes et pieds de page), mais je ne promets rien. Je soupçonne qu’il faudra que je retravaille le fichier Word pour que ça passe de façon lisible.
La nouvelle mouture du epub est géniale, très confortable à la lecture. Je vais pouvoir lire cela tranquillement !
Très sympa. Merci.
J’ai beaucoup apprécié le style et le vocabulaire, l’ambiance générale et la mise en valeur du décalage culturel entre humains et eldars. C’est un peu dur d’entrer dans l’histoire à cause du vocabulaire spécifique (après, je ne sais pas si la cible sont les afficionados ou les potentiels afficionados) et j’ai trouvé la fin un peu confuse. Mais, en gros, du coup, j’en veux plus ! 😉
Merci pour ce retour.
Oui, le contexte, toujours le contexte… 😉
En deux mots : la suite !
Un jour, peut-être.