Voici un billet qui va réveiller des souvenirs chez ceux de mes lecteurs qui ont beaucoup de peuxeux (en termes non-rôlistes: les vieux). Le plan de salle de la convention Trolls & Légendes a réveillé en moi le souvenir de l’Auberge du joyeux condamné, une forme de donjon pas comme les autres à mi-chemin entre le jeu de rôle et le jeu de plateau, jouée notamment par correspondance du temps de Plié en deux.
Comme il semble ne plus en exister aucune trace sur le réseau, je me suis dit qu’il était temps de rectifier cette injustice et, puisque les zombies sont à la mode, de ressusciter les morts. Ce billet est donc un travail d’historien; il faut bien que je justifie mes longues années d’errance universitaire. Et, comme tout travail d’historien, il n’est définitif que tant qu’il n’est pas contesté par des Gens Qui Savent Mieux; donc si votre Alzheimer est moins précoce que le mien, n’hésitez pas à me corriger.
Donc, l’Auberge du joyeux condamné est née dans l’esprit malade, enfumé, alcoolisé, barrez les mentions inutiles, du ci-devant Rascal, Pascal Cretton pour les intimes et les fichiers occultes de la Confédération. L’idée est la suivante: dans une auberge transformée en arène, des condamnés s’affrontent dans une joute à mort: le dernier survivant est automatiquement gracié. Sauf que tous les personnages commencent avec pour seul équipement que leurs vêtements, et encore.
L’Auberge recèle de quoi démonter son prochain – chaises, tables, bouteilles et autres – et compte un certain nombre de caches (souvent dans des endroits dangereux) qui elles regorgent de matériel vraiment dangereux (armes et armures). Elle compte également des coins sombres, qui potentiellement regorgent de trésors (et aussi de pièges et d’endroits propices à des embuscades). Seulement, il y a le public, qui n’aime pas les cachotteries.
Car il y a un autre moyen de quitter l’Auberge: demander sa grâce sur la Plateforme du Destin, qui a bien entendu le défaut d’être bien en vue; en fonction des actions d’éclat du condamné, la foule peut s’avérer clémente – s’il survit à sa tentative. En fonction de l’ingéniosité et du sadisme des joueurs, des objets en apparence anodins peuvent s’avérer des outils redoutables pour la conquête du cœur des spectateurs (qui se souvient de Mehdi Mouatou et de sa cornemuse lance-flammes?).
À l’origine, l’Auberge du joyeux condamné a été conçu pour être jouable par correspondance: chaque joueur écrit secrètement ses actions, que l’arbitre interprète et gère de façon simultanée, puis il retranscrit les résultats; dans Plié en deux, les compte-rendus signés Rascal prenaient facilement une demi-douzaine de pages, façon commentaires sportifs agrémentés de délires divers. On peut également y jouer sur table et je sens que je vais en faire ricaner plus d’un, car dans ce cas de figure, il est difficile de se passer de figurines et d’un plan à l’échelle.
C’est dû à la nature très “tour par tour” du jeu; les ordres secrets et le “brouillard de guerre” généré par les zones d’obscurité impliquent aussi ce genre d’aménagement façon jeu de plateau. Ce qui n’empêche pas que l’aspect jeu de rôle soit très présent quand même; la présence d’un joueur dédié pour arbitrer la partie est indispensable et son rôle est plus proche de celui d’un MJ que d’un pur arbitre: il doit bien entendu gérer les ordres écrits et les actions des personnages, mais également juger de leurs faits d’arme et de l’impact que ceux-ci ont sur la foule en cas de demande de grâce.
Du point de vue des règles, à l’époque, nous jouions avec celles de AD&D 1ère édition, principalement parce qu’on n’avait un peu que ça. Aujourd’hui, ce n’est pas forcément très important, l’essentiel étant que ça soit raisonnablement léger (je connais mal ces oiseaux, mais je suppose qu’un rétroclone pourrait faire l’affaire) et, aussi, que ça motive les personnages à aller chercher du matos plutôt que de se fritter avec leurs petits points musclés comme des malpropres. De ce point de vue, il faudra éviter les personnages lanceurs de sorts ou les incongruités du genre moine; des guerriers ou des voleurs de niveau moyen font très bien l’affaire.
À mon avis, l’Auberge du joyeux condamné est un jeu qui mériterait d’être (re)découvert en convention: il a le défaut d’être un peu lourd à organiser (le tour par tour et les ordres cachés n’aident pas), mais l’avantage d’être très ludique et de permettre aux joueurs frustrés de passer leurs bas instincts sur leurs petits camarades tout en faisant semblant de jouer à un jeu de rôle traditionnel.
Bonus historique: quelques pages du compte-rendu d’une des premières Auberges. Merci à Pascal de bien avoir voulu numériser ce document. L’image au début de l’article est le plan de la troisième Auberge, qui se déroulait dans un bateau (c’est le pont supérieur, avant le commencement de la partie).
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Ah oui, c’était bien drôle! Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était le bon temps, mais c’était bien sympa, en tout cas.
Plutôt qu’en jdr, je le verrais bien en jeu de plateau (cartes/pions)…
Oui, mais non. L’intérêt justement est que c’est quelque chose d’hybride, qui emprunte autant au jeu de plateau (déplacements précis, éventuellement points d’action, etc.) qu’au jeu de rôle, parce qu’énormément de choses restent floues et sujettes à interprétation.
C’est beaucoup plus proche qu’un porte-monstre-trésor en PvP, en fait. Le côté PvP amène beaucoup de sel.
Oh punaise Alias !!! Mais quel bonheur ce souvenir !!!
Ouais, hein?
Il faut vraiment que je finisse mon histoire de Plié en deux, un de ces quatre.
Oh bon sang, j’avais manqué cet article à l’époque de sa parution ! Je me demande si on ne jouait pas avec les propres règles de Rascal (qui portaient le nom do “Destiné” ou quelque chose comme ça). Elles étaient de toute façon proche de celled d’AD&D.
Dans la version “par correspondance”, c’est fort possible. On en avait fait une adaptation en convention, probablement à Rolle (c’est dire si ça date).