Nous n’avons pas besoin de statues

Je vais peut-être vous surprendre, mais ce billet d’humeur n’est pas consacré à la polémique sur le déboulonnage des statues de figures historiques controversées. Enfin, pas directement. En fait, la principale statue dont j’aimerais parler est plus métaphorique: il s’agit de Warren Ellis.

Ça fait un petit moment que je suis un fan de ce que fait Warren Ellis. OK, pas tout: il a commis quelques bouses que l’on espère alimentaires, au moins que ça ait servi à quelque chose. Mais, entre Transmetropolitan, The Authority, Planetary, Nextwave, Injection, Trees ou The Wild Storm, entre autres, sa bibliographie a de quoi faire rêver.

Le personnage, moins. Récemment, un grand nombre de femmes (mais pas seulement) – on parle d’une soixantaine à ce jour, mais ça concerne sans doute une centaine de personnes – ont témoigné sur le site So Many of Us. En gros et en très résumé, elles reprochent à Warren Ellis d’avoir monnayé son influence contre des faveurs sexuelles.

Ça vous rappelle quelque chose? C’est normal: ce n’est pas la première fois que ce genre de témoignage ressort, principalement dans les milieux artistiques et/ou geeks. Et, quasiment toujours, avec des hommes qui exploitent des femmes.

Il y a eu le mouvement MeToo, lancé à l’origine par des actrices américaines. Mais il y a aussi des cas dans le jeu vidéo, récemment avec Ubisoft, ou dans le milieu des youtubeurs francophones (avec même des cas de pédophilie), sans même parler de la politique française.

Tous ces cas sont différents, mais ils ont un point commun: c’est une question de pouvoir. Ces milieux – comme beaucoup d’autres – sont très compétitifs et il est difficile d’y percer avec ses seules compétences. Beaucoup d’artistes cherchent des contacts, des mentors, déjà établis et qui peuvent les aider à progresser et/ou à être remarqués par les grands studios. Et la plupart de ces grands noms sont des hommes.

Je vois deux problèmes dans cet histoire: le premier, sur lequel nous n’avons pas beaucoup de prise mais qui devrait se résoudre avec le temps, c’est la représentativité dans les hautes sphères artistiques. Quand il y aura plus de femmes, plus de personnes LGBT+, plus de diversité dans les origines, ça devrait au moins donner des alternatives pour les artistes qui cherchent du soutien ou des mentors.

Le second est plus pernicieux et me touche personnellement, c’est celui du soutien – conscient ou inconscient – des fans envers les personnes responsables de tels abus. Sans aller jusqu’à le considérer comme un de mes maîtres à écrire, j’avais tendance à voir Warren Ellis comme un modèle. Du genre à me dire « si c’est de lui, c’est probablement bien ».

Et qu’on ne vienne pas me parler de « séparer l’homme de l’artiste »: quand l’artiste promeut dans ses œuvres un message fondamentalement opposé à celui qu’il suit lui-même, il y a un gros problème. Je veux bien que « si vous n’êtes pas un hypocrite, c’est que vos standards moraux ne sont pas assez élevés », mais il y a une limite.

Pour résumer le long article que consacre Dr Nerdlove à cette affaire, les fans ont aussi une responsabilité dans cette histoire. Ce n’est pas parce que l’auteur de tels abus est quelqu’un de connu et respecté que c’est acceptable et que ça doit être accepté. À la limite, ça devrait être le contraire.

Or, on a un peu trop tendance à vouloir défendre nos idoles. Surtout, peut-être, quand c’est quelqu’un qui a donné ses lettres de noblesse à un « mauvais genre », à un média qui est souvent décrit comme mineur et puéril. C’est compréhensible, quelque part, mais dans le cas présent, ça se fait au détriment de personnes comme nous.

J’en reviens donc au titre de cet article: nous n’avons pas besoin de statues. Ou d’idoles, si on veut. Quand une personne devient un symbole, surtout de son vivant, c’est dangereux, pour elle et pour son entourage. C’est un pouvoir qui est dangereux, d’autant qu’il est rarement contrebalancé.

Le dicton qui dit que le pouvoir corrompt n’est à mon avis pas complètement exact Je suis plutôt de l’avis qu’il révèle la vraie nature d’une personne: si quelqu’un peut faire ce qu’il veut, alors cette personne fera ce qu’elle veut. Et ce pouvoir, c’est en partie nous, les fans, qui la donnons.

(Photo: “Eros Blindfolded”, statue d’Igor Mitoraj située à Lugano (Suisse); images sous licence CC0 via piqsels.)

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1 réflexion au sujet de « Nous n’avons pas besoin de statues »

  1. Vaste sujet mais combien de “maîtres” du domaine artistique ne sont/ n’etaient pas si recommandables humainement. Je pense à Lovecraft, Chaplin, M.Jackson, par exemple pour couvrir 3 domaines. Je ne les mets pas tant sur un piédestal car je n’arrive pas à être “fan” de qui que ce soit, cet etat quasi de transe qui fait perdre son jugement et libre arbitre. Mais par contre il y a des “maîtres” où l’oeuvre me dérange ou me parait surcotée parfois comme un certain réalisateur résident suisse

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