À l’heure où je finis d’éditer ces lignes, je viens d’avoir dix-sept ans. OK, pour la troisième fois. Et OK aussi, je vous ai déjà fait cette blague plein de fois. Mafout, c’est mon anniversaire, chfais c’que j’veux, d’abord! Ce qui signifie que, techniquement – très techniquement, et avec beaucoup de mauvaise foi – je ne suis pas encore adulte. Ce n’est pas très grave: d’une part, j’ai déjà le droit de boire des bières et, d’autre part, l’âge adulte, c’est très 20e siècle.

Je ne dis pas seulement ça pour déconner: j’ai aussi sincèrement l’impression que la notion de “adulte” est en train de se dissiper dans les brumes du troisième millénaire naissant. Déjà, ça ne m’étonnerait pas que, comme beaucoup de concepts autour de la famille, celui-ci ne soit réellement né qu’avec l’époque victorienne.

L’image qu’on a de l’âge adulte implique en général un boulot, un style vestimentaire conservateur (costume-cravate, tailleur-jupe), un mariage, des enfants, payer des impôts et des loisirs inexistants (genre, vautré devant la télé). Vous allez rire: ça ne fonctionne plus. Enfin, plus aussi bien qu’avant, où soit tu étais une copie-carbone du modèle ci-dessus – c’était aussi une époque où le terme “copie-carbone” avait une signification universelle – soit tu étais un marginal.

Aujourd’hui, ce modèle existe encore, certes; il forme peut-être même la majorité de la population dans nos contrées. Mais il n’est plus aussi ubiquitaire. Aujourd’hui, un “adulte” est peut-être au chômage; s’il a un travail, celui-ci n’exige pas forcément un style “premier de la classe”. Le mariage est en perte de vitesse, la natalité aussi, idem pour la télé, quant aux loisirs, eux ont littéralement explosé.

Restent les impôts. Et la mort. Les classiques.

De temps à autre, on a droit à des articles catastrophistes qui nous décrivent une société “d’adulescents” – des adultes qui se comportent comme des adolescents – sur l’air de “Ehrmagerd c’est terrible, il n’y a plus d’adultes responsables”. Je suppose que, d’un point de vue journalimsmique, c’est en effet plus sexy que de dire “les normes sociales sont de plus en plus diverses, deal with it!”

C’est un sentiment que j’ai déjà eu sur pas mal de trucs: ces dernières décennies sont surtout marquées par la fin des certitudes, des absolus et des normes sociales diverses et variées. Ce qui ne veut pas dire que tout se dissout dans un Grand Néant sociétal comme un cadavre encombrant dans une baignoire d’acide, juste qu’il va falloir s’habituer à vivre avec le fait que “ça a toujours été comme ça” est une phrase obsolète.

Et c’est tant mieux, quelque part.

Du coup, mon avis de vieukon à ceux qui s’angoissent à l’idée de devenir adulte et responsable: on survit très bien en faisant semblant juste un petit peu. Faut juste se méfier de certaines échéances administratives, mais à part ça, ça va.

Si je devais donner un conseil à mes cadets, c’est “faites des trucs qui vous plaisent.” “Faites des trucs”, comme dans “créez”, même si c’est juste pour vous. La création, c’est cool. Et “qui vous plaisent”, parce qu’on a tout le temps des trucs chiants à faire, alors autant prendre le temps pour se faire plaisir.

Si vous voulez des conseils un peu plus développés – et probablement plus pertinents – John Perry Barlow, un des fondateurs de l’Electronic Frontier Foundation qui est décédé il y a quelques jours, avait fait sa propre liste (en anglais). On notera qu’il parlait alors de “comportement adulte”.

Il y a quelques décennies, on regardait les amateurs de science-fiction et de fantastique comme des enfants; aujourd’hui c’est un genre qui est devenu mainstreamStar Wars, Avatar et les films du Marvel Cinematic Universe sont des succès populaires majeurs. La bande dessinée est souvent reconnue comme un art majeur – même aux États-Unis, c’est dire! Et même le jeu de rôle ne fait plus baliser qu’une poignée d’excités.

Alors voilà, j’ai passé les Cinquantièmes Growlants (voir pour illustration les chroniques musicales de cette semaine), je vais continuer à aller faire mon intéressant dans des conventions de jeu de rôle, à écrire des histoires d’elfes pansexuels de l’espace, à trimbaler mes substituts opto-phalliques dans divers concerts de gens bruyants et conventions à pokémons, à boire de bière avec des potes.

Je serai adulte quand je serai mort! Peut-être.

(Image: “Family watching television 1958”, National Archives and Records Administration via Wikimedia Commons, domaine public.)

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